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Roman

La déesse des petites victoiresLa déesse des petites victoires

La déesse des petites victoires : roman / Yannick Grannec .- Paris, Anne Carrière, 2012

 

 

 

Université de Princeton, 1980. Anna Roth, jeune documentaliste sans ambition, se voit confier la tâche de récupérer les archives de Kurt Gödel, le plus fascinant et hermétique mathématicien du xxe siècle.

Sa mission consiste à apprivoiser la veuve du grand homme, une mégère notoire qui semble exercer une vengeance tardive contre l’establishment en refusant de céder les documents d’une incommensurable valeur scientifique.

Dès la première rencontre, Adèle voit clair dans le jeu d’Anna. Contre toute attente, elle ne la rejette pas mais impose ses règles. La vieille femme sait qu’elle va bientôt mourir, et il lui reste une histoire à raconter, une histoire que personne n’a jamais voulu entendre. De la Vienne flamboyante des années 1930 au Princeton de l’après-guerre ; de l’Anschluss au maccarthysme ; de la fin de l’idéal positiviste à l’avènement de l’arme nucléaire, Anna découvre l’épopée d’un génie qui ne savait pas vivre et d’une femme qui ne savait qu’aimer. Albert Einstein aimait à dire : « Je ne vais à mon bureau que pour avoir le privilège de rentrer à pied avec Kurt Gödel. » Cet homme, peu connu des profanes, a eu une vie de légende : à la fois dieu vivant de l’Olympe que représentait Princeton après la guerre et mortel affligé par les pires désordres de la folie. Yannick Grannec a réussi, dans ce premier roman, le tour de force de tisser une grande fresque sur le xxe siècle, une ode au génie humain et un roman profond sur la fonction de l’amour et la finalité de l’existence.

présentation de l'éditeur


 Articles au fil de la presse...

Ce premier roman de Yannick Grannec n’est pas passé inaperçu à la Foire du livre de Francfort du mois d’octobre dernier où ses droits de traduction se sont très bien vendus.

Coup d’essai, coup de maître ?

La romancière nous plonge dans la vie de couple d’Adèle et Kurt Gödel qui se rencontrent dans la capitale autrichienne des années 30. C’est une période charnière où la flamboyance artistique et intellectuelle de la Vienne 1900 jette encore ses derniers feux tandis que se profile dans le pays une montée du nazisme qui se soldera par l’annexion de l’Autriche au IIIème Reich.

Ce couple est atypique. Adèle est la plus âgée des deux, et de confession catholique. Elle est issue d’une famille modeste. La famille de Kurt est luthérienne, nettement plus « collet monté » mais au crépuscule de sa gloire, un peu à l’image du pays… Kurt est un génie de la logique et des mathématiques, expert en philosophie, ce qui fait la grande fierté de sa mère.  On lui doit le théorème de l’incomplétude et il a travaillé, malheureusement sans aboutir mais en défrichant vaillamment le terrain pour Paul Cohen, sur l’hypothèse du continu.

Ne me demandez pas de vous expliquer la teneur de ces travaux car j’en serais bien incapable.  Yannick Grannec tente bien de vulgariser les concepts, mais rien y a fait, cela m’est resté en grande partie hermétique (heureusement que providentiellement un documentaire sur l’espace-temps m’a apporté son soutien pour certains passages « techniques » et qu’ainsi la relation entre l’entropie et la relativité restreinte n’était plus aussi mystérieuse). Il faut juste admettre ce que les experts nous affirment (c’est comme ça en maths, quand on n’est pas doué et incapable de comprendre une démonstration) : les études de Gödel sont capitales et ont fait considérablement progresser la science…

Mais ce génie brille également par son égocentrisme forcené et son manque total d’aptitude à la vie en société, hors celle bien sûr de ces illustres confrères scientifiques. Il est de plus de santé très fragile : Freud aurait sans conteste parlé de graves névroses… D’ailleurs, Gödel développe au cours de sa vie, non seulement de graves dépressions, mais surtout une paranoïa qui le conduira lentement mais sûrement à la mort. Envers celle qui deviendra sa femme et qui lui consacrera toute sa vie, il se comporte plutôt comme un goujat, avec une condescendance à peine réfrénée quant aux capacités intellectuelles d’Adèle qui évidemment ne lui arrivent pas à la cheville.

Dès 1940, les Gödel s’exilent aux Etats-Unis et plus précisément à Princeton, ville universitaire de renom où Kurt retrouve dans un des plus prestigieux instituts scientifiques du monde ses pairs Oppenheimer, Eisntein, von Neumann… Une fois passés la rude période d’adaptation, les remous suscités par les doutes éthiques du père de la bombe atomique et les frayeurs engendrées par la chasse aux sorcières de McCarthy, la vie s’écoule paisiblement. Les hommes se retrouvent avec plaisir à l’institut ou dans le jardin et discutent sans fin de leurs dernières intuitions ou découvertes, de la phénoménologie, de concepts philosophiques ardus et autres sujets qui échappent au commun des mortels… Les femmes pendant ce temps s’occupent de l’intendance de la maison et se soutiennent moralement en faisant la vaisselle.

La vie d’Adèle n’a donc rien eu d’une vie heureuse. Pourtant, elle aimait sincèrement Kurt et elle l’a tenu à bout de bras pendant quarante longues années, à s’occuper de lui exclusivement dans tous les aspects matériels et pragmatiques de la vie, renonçant à vivre une vraie maternité avec un véritable enfant… Veuve et au seuil de la mort, elle est devenue acariâtre, refusant de céder  les archives de son mari à l’institut d’études avancées de Princeton qui lui envoie une jeune documentaliste pour l’amadouer. Adèle lui propose un marché avant d’accorder quoique ce soit : Anna doit lui raconter sa vie et Adèle lui raconte la sienne…

La narration est de fait doublement alternée puisqu’elle imbrique deux époques et deux points de vue. Mais autant il est vrai que la vie des Gödel a l’étoffe d’un récit romanesque et qu’il est astucieux d’avoir fait d’Adèle le personnage héroïque de l’histoire et non son génialissime et fol à lier de mari, autant la vie morne et fade d’Anna est réellement ennuyeuse pour le lecteur. Le parallèle entre ces deux vies de femmes n’apporte pas grand chose à l’histoire jusqu’à la desservir en diluant le propos.

Alors, oui, La Déesse des petites victoires est un livre à lire, un livre ambitieux qui propose au lecteur quelque chose de consistant, un livre singulier où la fiction repose habilement sur un personnage historique scientifique captivant (comme c’est aussi le cas en cette rentrée littéraire de Peste et Choléra de Patrick Deville ou Mécaniques du ciel de Tom Bulloughs…). Oui, ce premier roman est plutôt réussi, mais il me semble que le coup de maître est à venir !

La ruelle bleue (laruellebleue.com)

 

Lu en mars 2018 (Mediathèque municipale de Venerque)