The Revenant
Film d'aventure, drame, Western (Etats-Unis, 2016, 156 min)
Réalisation : Alejandro González Iñárritu
Scénario : Alejandro González Iñárritu, Mark L. Smithy, d'après Le Revenant de Michael Punke
Musique : Ryuichi Sakamoto, Alva Noto et Bryce Dessner
Avec... Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Domhnall Gleeson, Will Poulter, Fabrice Adde
Production : New Regency Pictures, Anonymous Content, RatPac Entertainment
Distribution : 20th Century Fox
Synopsis :
Au début du XIXe siècle, Hugh Glass, accompagné par son fils, un Indien métisse, guide des trappeurs. Le convoi est attaqué par des Indiens et tente de leur échapper par les montagnes. Grièvement blessé par un ours, Glass est confié à John Fitzgerald, qui le déteste, et au jeune et innocent Jim Bridger. Fitzgerald tue le fils de Glass, ment à Bridger et le convainc d'enterrer le trappeur. Mais Glass parvient à s'extirper de sa tombe, bien décidé à retrouver celui qui lui a enlevé son fils. Affaibli par ses blessures, il peut compter sur sa soif de vengeance pour parcourir les 300 kilomètres qui le séparent de son pire ennemi...
Dans la presse...
« Nous sommes tous des sauvages. » Voilà ce qu'on peut lire sur un écriteau accroché au cou d'un pendu, au milieu du film. C'est une jungle glacée que filme Alejandro González Iñárritu. Le héros (Leonardo DiCaprio), un trappeur grièvement blessé et dramatiquement seul, y lutte à chaque instant pour sa survie. Tout lui est hostile et vio-lent : le froid hivernal du Nord-Ouest américain, les Indiens, les bêtes, et même ses anciens coéquipiers, dont certains l'ont trahi et abandonné. Il ne songe plus qu'à se venger. Les faits historiques, situés autour de 1820, ont déjà inspiré Le Convoi sauvage, de Richard Sarafian (1971). Sous la direction du réalisateur mexicain le plus en vue à Hollywood (oscarisé l'an dernier), l'épopée perd son classicisme au profit d'une démesure baroque. Iñárritu, habilement, élabore un grand mixte avec le gigantisme des paysages enneigés, les images mentales qui traversent le cerveau du trappeur supplicié, les effusions de violence et la contemplation méditative. Tout comme il opère la synthèse entre le cinéma d'auteur symboliste (Terrence Malick, dont son chef opérateur importe le style) et le cinéma de genre dernier cri : The Revenant est, dans le jargon industriel, un « survival », un film de survie extrême. Dans ce foisonnement, s'imposent des visions de terreur, qui parlent d'abord du rapport entre l'humanité et l'animalité. Une ourse attaque et mutile le trappeur au début de l'histoire : elle paraît non seulement l'agresser, mais littéralement le violer. L'homme qu'il devient ensuite a tout d'un être hybride, fruit de ce viol. Une créature sans mots (la gorge abîmée), grognante, presque rampante, couverte de peaux animales, dont la barbe et les cheveux se confondent avec la fourrure. Plus tard, après une attaque des Indiens, le héros, frigorifié, évide le corps d'un cheval tout juste tué et s'engouffre dans la chaleur de sa carcasse. Il en ressort au matin, nu et ensanglanté, mi-poulain, mi-nourrisson. Ces hybridations monstrueuses pourraient bien relever de l'obsession chez un cinéaste dont le premier film, Amours chiennes, identifiait des dresseurs à leurs bêtes, et le dernier, Birdman, fusionnait un homme et un oiseau. Le fil conducteur, autant que la souffrance est, plus que jamais, la performance — clé de l'oeuvre d'Iñárritu. Il y a une folie hollywoodienne, captivante en soi, dans cette succession d'épreuves inhumaines, qui sont autant de défis lancés à tous : réalisateur, techniciens, comédiens et spectateurs. Vu ce contexte paroxystique, l'adresse fabuleuse de Leonardo DiCaprio, en pur acteur de cinéma, consiste à soustraire. Son exploit à lui est de n'en faire jamais trop. Sous l'hyperréalisme de ses oripeaux, il reste une figure spectrale, un énigmatique mort-vivant. Contrairement aux derniers Tarantino, The Revenant redonne à la vengeance toute son ampleur tragique. Tant qu'elle demeure l'horizon lointain du héros, elle le maintient en vie, alors qu'il devrait mourir cent fois. Mais dès qu'elle devient réalité, le justicier paraît se désarticuler, il ressemble à un simple amas de cellules sans nécessité. Aucune joie ni satisfaction dans cet assouvissement. Le film est accompli aussi en ce sens : le regard que le survivant nous lance en bout de course, hagard et sans défense, laisse entrevoir, enfin, un au-delà de la sauvagerie. — Louis Guichard (Télérama, février 2016)
Vu le 7 janvier 2017 (collection personnelle)