Suzanne
Film - drame (France, 2013, 94 min)
Réalisation : Katell Quillévéré
Scénario : Katell Quillévéré, Mariette Désert
Musique : Clint Eastwood
Avec... Sarah Forestier : Suzanne, Adèle Haenel : Maria, François Damiens : Nicolas, Timothée Vom Dorp : Charlie (enfant), Maxim Driesen : Charlie (adolescent), Paul Hamy : Julien, Corinne Masiero : l'avocate
Production : Move movie
Distribution : Mars films
Synopsis :
Enfant, Suzanne danse sur scène parmi d'autres fillettes et rayonne de fierté sous le regard de son père, Nicolas, et sa jeune soeur, Maria. Chauffeur routier, veuf, Nicolas se consacre à ses filles, qu'il préfère élever seul. Les années passent. Lycéenne, Suzanne, enceinte, décide de garder son enfant, bravant l'incompréhension de son père. Le petit Charly grandit. Entre Suzanne et Maria, la complicité reste très forte, même si Maria mûrit davantage. Sur un champ de courses, Suzanne rencontre Julien, un mauvais garçon séduisant. L'amour qui les unit est si profond que Suzanne s'enfuit, abandonnant Charly. Nicolas et Maria ne la revoient, deux ans plus tard, que dans le prétoire d'un tribunal...
Dans la presse...
" Suzanne, comme le standard de Leonard Cohen. Et le titre longtemps envisagé par Maurice Pialat pour A nos amours. A mi-chemin entre le lyrisme de la chanson et le naturel du film, Suzanne est aussi, désormais, le récit fulgurant d'une jeunesse sur un fil, de l'enfance à la trentaine. Elle tombe enceinte à 17 ans, encore lycéenne, et décide de garder l'enfant. Elle tombe amoureuse à 20 ans, mère célibataire, et décide de laisser son fils derrière elle pour vivre cette passion avec un délinquant à gueule d'ange. L'intensité du deuxième long métrage de Katell Quillévéré (après Un poison violent) tient beaucoup à tout ce qu'il élude. Sur le quart de siècle couvert par l'histoire, des périodes de plusieurs années sont laissées en blanc, et des événements cruciaux, escamotés. Les cavales, la violence et les délits ne sont pas filmés. Leurs conséquences sur les visages et sur les sentiments, oui. Après chaque ellipse, on découvre une nouvelle donne, on retrouve Suzanne confrontée un peu plus à son destin, assumant des choix incompréhensibles pour son entourage. Sara Forestier illumine ce personnage de grande amoureuse souvent interdite devant la brutalité de la vie, de chambre d'hôtel en cellule de prison. On ne l'avait pas vue aussi émouvante depuis L'Esquive, d'Abdellatif Kechiche, son premier film. Autre belle idée, la présence fantomatique, tenace, de Suzanne quand elle disparaît des radars : Katell Quillévéré filme les proches désarmés, incomplets, dévastés par le manque. Le père routier (François Damiens, touchant) laisse la photo de sa fille à un jeune auto-stoppeur dont l'errance lui rappelle cruellement Suzanne. La petite soeur ouvrière croit voir la fugitive au fond d'une boîte de nuit dans un flash stroboscopique — Adèle Haenel, douce et forte, superbe, est l'autre pilier du film. Cette façon qu'a la cinéaste de s'attacher à ceux qui restent devient un point de vue lumineux sur la famille : c'est la trajectoire d'une seule qui rythme et façonne l'existence des autres. Suzanne vit. Les siens ne font que réagir et s'adapter tant bien que mal. Or la mécanique peut s'inverser un jour, si quelque chose d'encore plus imprévisible que les actes de l'héroïne se produit... Le film va jusqu'au bout de son élan romanesque, passant et repassant par le cimetière où se trouve depuis le début la mère de Suzanne. Et laisse les survivants de l'odyssée familiale sonnés et incrédules, après l'orage, devant leur capacité intacte à s'aimer. Comme dans un célèbre roman de Maupassant, « la vie, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit »". — Louis Guichard (Télérama, décembre 2013)
"Vingt-cinq ans de la vie d'une famille : c'est ce qu'a voulu raconter Katell Quillévéré dans Suzanne, son deuxième long-métrage après Un poison violent (prix Jean Vigo en 2010). Il y a là Nicolas, le père (François Damiens), un chauffeur routier d'autant plus attentif à ses deux filles qu'il est veuf ; Maria (Adèle Haenel), la fille aînée, gentille et généreuse ; Suzanne (Sara Forestier), la cadette, plus fragile, plus secrète aussi ; et puis enfin, bientôt, il y aura Charlie, le fils de Suzanne, né de père inconnu. Le film est divisé en quatre périodes, cinq même si l'on y ajoute le prégénérique où l'on voit Suzanne danser avec d'autres petites filles devant un parterre de parents énamourés. Quelques années plus tard, on la retrouve avec son père et sa sœur dans l'appartement modeste où ils vivent tous les trois. Un trio fusionnel, apparemment heureux, jusqu'au jour où Nicolas et Maria apprennent que Suzanne attend un bébé. Trois vies qui basculent, Suzanne visiblement pas encore prête pour élever un enfant. Trop jeune, la vie à croquer à pleines dents devant elle. Et la voilà, un jour aux courses ave La force du destin. Irrépressible. Un tel besoin d'amour qu'elle n'a pas le choix, du moins est-ce ainsi que cela se passe : Suzanne largue les amarres familiales. Direction le grand large, l'aventure. L'inconnu.
UNE VIE ÉPARSE ET CHAOTIQUE Il faudra vingt-cinq ans pour que Suzanne recolle les morceaux d'une vie éparse et chaotique. La petite fille qui, vaille que vaille, dut grandir sans sa maman, connaîtra tout, la prison, la cavale, la maternité, le deuil. Elle tentera de trouver ailleurs – au Maroc – la sérénité qu'elle n'arrivait pas à trouver près de sa famille. La résilience fera le reste. La vie finira par l'emporter. Au prix fort. Suzanne est d'abord et avant tout un film à ellipses. Un film dans lequel le hors-champ tient une place prépondérante. Ce parti pris, que l'on retrouve à la fois dans l'écriture et dans le montage, place le spectateur dans la position finalement assez peu habituelle d'être en quelque sorte le coscénariste de cette histoire. A lui, en fonction de sa propre vie, de sa propre expérience, d'imaginer les pages volontairement laissées en blanc par Katell Quillévéré. Autre originalité de Suzanne : en dépit ce que pourrait laisser suggérer le titre, il ne s'agit pas d'un film centré sur un personnage principal. Si Suzanne en est bien la colonne vertébrale, les autres personnages n'ont rien de secondaire. Leurs vies s'entrecroisent, interagissent entre elles ; toujours à la bonne distance, la caméra les capte dans toute leur complexité, affective et sociale.
SARA FORESTIER ET ADÈLE HAENEL, DEUX ACTRICES LUMINEUSES Reste le principal, sans lequel Suzanne ne serait pas ce qu'il est, un film émouvant et attachant : Sara Forestier et Adèle Haenel. Les deux sœurs. Deux actrices lumineuses et intenses. Inutile de présenter Sara Forestier : sa filmographie parle pour elle, de L'Esquive (César du meilleur espoir féminin, 2005) à Le Nom des gens (César de la meilleure actrice 2010). Une fois de plus, dans ce rôle de femme éperdument amoureuse et de mère célibataire à la dérive, elle fait preuve d'une incroyable maturité émotionnelle. Moins connue – on l'avait appréciée dans Les Diables, de Christophe Ruggia (2002), et dans L'Apollonide : souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello (2010) –, Adèle Haenel illumine le film de sa générosité. Aux côtés de François Damiens, épatant en père célibataire, toutes les deux constituent l'un des plus émouvants « couples » de sœurs que l'on ait vus depuis longtemps. On entend Suzanne, la chanson de Leonard Cohen (magnifiquement interprétée par Nina Simone), on écoute les paroles et on comprend ce qui a pu pousser Katell Quillévéré à écrire ce film : « Et tu veux voyager avec lui/Et tu veux voyager les yeux fermés/Et tu penses que peut-être tu lui feras confiance/Car il a touché ton corps parfait avec son esprit… » On pense bien sûr aussi à A nos amours, le chef-d'œuvre de Maurice Pialat, et à Sandrine Bonnaire qui s'appelle, elle aussi, Suzanne dans le film. Dans les deux histoires, une jeune fille essaye d'échapper à l'amour trop fort de son père… On se dit que ces deux références sont un peu trop évidentes ; et puis le film, Suzanne, reprend le dessus, comme s'il n'avait pas besoin de ces deux béquilles pour exister par lui-même." Franck Nouchi (Le monde, 17/12/2013)
Vu le 4 décembre 2016 (France télévision, France 4)