Films, Musiques & Livres

 

Voyage autour de mon enfance / Emmanuel de Waresquiel.- Paris : Tallandier, 2022

 

ISBN 979-10-210-5256-7

 

 

 

 

 

 

 

«Je suis né le 21 novembre 1957, pas loin du jour des morts. Je donne cette date une fois pour toutes. Elle servira de repère dans le désordre chronologique du récit qui va suivre, écrit à la billebaude, par petites touches, en forme de palimpseste heureux, et qui s’achève à peu près à la fin des années 1960. J’avais un peu plus de dix ans. À la lumière du présent, les terres de mon enfance m’apparaissent aussi exotiques et abandonnées que celles de Vanikoro, en mer de Corail, quand La Pérouse s’y était échoué sans qu’on le retrouve. »

Biographe connu et reconnu, essayiste de talent, chroniqueur du temps présent, Emmanuel de Waresquiel se penche ici sur son enfance et se fait l’historien de lui-même. Il évoque des lieux, des visages, des maisons, des paysages et excelle à restituer des univers engloutis. Élégant, poétique, tendre, secret, souvent drôle, ce livre est un conte sur l’enfance, le temps, l’exil, la mémoire et l’oubli.


 Autour du livre, Au fil de la presse...

L’enfance échappe décidément au temps. Elle est immobile et comme prisonnière d’un présent qui n’aurait pas de commencement et pas de fin. (p105)

Je ne lis que très rarement des biographies mais, par contre, j’aime (mais je crois que je vous l’ai déjà écrit) lire des biographies d’écrivain(e)s, comment ils travaillent (ou travaillaient), comme ils sont venus à l’écriture, leurs influences, leurs lieux de vie etc…

On ne devient pas historien sans avoir une sensibilité particulière au temps. Cette impression, héritée de mon enfance, d’un temps qui ne passe pas, devait plus tard faire de moi, dans la famille bigarrée des faiseurs d’histoire, un somnambule. (p48)

Donc cette lecture quand elle m’a été proposée je l’ai acceptée même si je n’avais jamais lu d’ouvrages de Emmanuel de Waresquiel, j’étais curieuse premièrement de l’écriture à savoir est-ce qu’un biographe allait trouver le chemin de sa propre enfance et comment il allait la restituer mais aussi découvrir comment les germes de son intérêt pour l’Histoire avec un grand H (non non ce n’est pas une faute de frappe) ont émergé et sur ces deux points je crois que les réponses apparaissent dans le récit.

 
 
 

Une enfance bourgeoise (mais pas forcément argentée au fil des années), dans l’ouest de la France  (entre Maine et Anjou), des demeures avec du personnel, un enfant unique entre un père héros de guerre discret sur ses faits et une mère dont on ressent tout l’amour qu’il lui portait mais également tout ce qu’il lui doit, ce qui la reliait à elle sans oublier l’environnement, une vie proche de la nature et des animaux et en particulier un attachement aux chiens et sur ce point je ne peux qu’adhérer….

Il faut avoir une certaine nature pour les aimer, une vraie affection pour les plus faibles, un besoin de les protéger. Il faut peut-être aussi que les humains vous aient déçu. (p30)

C’est un voyage dans le temps et les souvenirs où l’auteur picore sans toujours respecter la chronologie car il nous avertit que là n’est pas le but, mais sans pour autant nous perdre, une réminiscence faisant surgir une autre, une photo appelant une autre vision, un lieu porteur de jeux, de rencontres etc… C’est à la fois nostalgique d’un temps, le doux temps de l’enfance, mais sans regret car on ressent à quel point il a aimé son enfance et qu’il a profité de tout ce qui lui a été offert.

Entouré de livres et de traces du passé qu’elles soient écrites ou photographiées et parfois même sensorielles (la famille semble très conservatrice de documents, lettres etc…) je pense qu’il y avait là les germes de ce qui a pu développer en lui le goût des recherches, des histoires et finalement de l’Histoire avec parfois des ancêtres ayant eux-mêmes côtoyés des personnages célèbres de l’histoire mais le tout raconté avec simplicité et en ayant conscience de l’enfance privilégiée dans lequel il a évolué, l’auteur réussissant également à mettre en lumière une époque, celle de l’après deuxième guerre mondiale dans une famille marquée par le passé, les épreuves et la condition.

J’ai passé un joli moment grâce à Emmanuel de Waresquiel et même si ce ne fut que quelques bribes du passé et l’occasion de se révéler lui-même après avoir fouillé les passés des autres, si une biographie d’un personnage historique de lui passe un jour sous mes yeux (j’aime l’histoire mais il faut que l’écriture soit fluide et captivante) je serai très tentée de la lire pour voir si le charme opère à nouveau.

J’ai aimé la plume de ce sage petit garçon figurant sur la couverture, le voyage fut léger car il n’est qu’une évocation, un regard et j’ai presque regretté qu’il ne se prolonge pas un peu plus. Un bon signe…..

crédit : Blog Mumu dans le bocage


Emmanuel de Waresquiel nous gâte ! On avait encore en tête, bien sûr, son doublé de 2020. D’abord, sous sa plume d’historien et de biographe bien connu des années 1789-1830, le récit galopant de ces Sept Jours (Tallandier) de juin 1789 par desquels la France fraîchement tricolore tenta en vain d’accoucher une monarchie constitutionnelle aimée du bon peuple. Ensuite, sa rencontre buissonnière avec Stendhal, J’ai tant vu le soleil (Gallimard), écrite « en maraudeur » dans l’état de grâce des chaleurs d’août là-bas dans sa campagne, et qui n’est qu’un cri fraternel puisqu’avec Beyle « on part forcément à la recherche de soi-même ».
L’année suivante, on a autant aimé son Tout est calme, seules les imaginations travaillent (Tallandier), un recueil de ses chroniques à Historia où il s’est surpris « à regarder de près » l’actualité du temps présent du haut de son flegme gentiment britannique. Aujourd’hui, foin de finasseries ! Waresquiel est au pied de l’Himalaya qu’affronte un jour tout écrivain doué qui reste seul avec ses souvenirs : respirer encore un peu l’encens du baptême par l’enfance, quitte à tricher un peu car « l’histoire n’a pas grand-chose à y voir même si, par la grâce du temps, cela devient forcément de l’histoire ». Et il escalade en moins de deux cents pages joliment bien tournées, sans regrets ni nostalgie pour son petit monde provincial et digne des années 1960 au bord de la modernité.

« L’été, j’étais réveillé par le crissement du râteau sur le gravier de la cour » : le ton était proustien, là-bas à Poligny, entre Perche et Anjou pas loin du pays chouan, dans un château très XIXe et très ouvragé, avec ses boiseries caca d’oie et ses chambres inchauffables. Il abritait une famille « bien » et très anglomane, un père qui avait fait Saint-Cyr et parlait peu de sa très belle guerre, une mère tendre, inquiète et romanesque, une cuisine bourgeoise servie par le maître d’hôtel en veste blanche, une nounou bien-aimée, un jardinier à large ceinture de flanelle (responsable du coup de râteau ci-dessus), un « personnel » reconnaissant, une fermière en 2 CV qui jetait le petit à l’école des Frères entre deux livraisons de légumes chez les commerçants du bourg…

L’enfance échappe au temps
Une maisonnée encore proche d’Alice et de la comtesse de Ségur avec un bon zeste d’Harry Potter et de Downton Abbey, où l’on sonnait la cloche pour le déjeuner et ne badinait pas avec la messe du dimanche. Là, Emmanuel, l’enfant unique et chéri, se souvient d’avoir été heureux, plein d’une vie « végétative et buissonnière », avec pâtures et forêts qui crissent sous la botte au petit matin frais. Et, à l’inverse, il a appris chez sa mère, à Viry en Lorraine, des joies familiales plus tribales et plus âpres, peut-être aussi avec de jolies cousines.

Ce petit livre ne serait-il donc qu’une bergère ? N’en croyez rien. Waresquiel prétend que « l’enfance échappe décidément au temps. Elle est immobile et comme prisonnière d’un présent qui n’aurait pas de commencement ni de fin ». La sienne eut pourtant des sortilèges, de l’étrangeté, des errances et d’anciens drames de famille que sa mère lui racontait à la façon d’Edgar Poe. Oui, il y avait là, conclut-il, « quelque chose de l’abolition du temps, un formidable court-circuit entre le passé et le présent qui m’a peut-être donné le goût des chevauchements de l’histoire, de ses anachronismes, de ses méandres et de ses souterrains. De ceux qui relient les générations et les convoquent à de mystérieux rendez-vous secrets. »

Crédit : Jean-Pierre Rioux, La Croix

------------------------------------------------------

Premières phrases du livre :

Les « premiers souvenirs » n’existent pas. Du chaos de l’enfance, il ne reste qu’une confusion de sons, de couleurs et d’odeurs raccrochés à des situations, à de petits événements que l’on croit innocents et purs de toutes interférences comme s’ils étaient sortis intacts de leur matrice originelle. Nos premières années sont ce qu’en a fait le temps. Comme les pages d’un livre dont l’encre aurait été maculée par la pluie ou comme la figure cachée de ces dessins à énigmes d’autrefois qu’il fallait tourner dans tous les sens avant qu’elle n’apparaisse. Une photo retrouvée beaucoup plus tard, le récit que nos parents nous font de certains moments de notre enfance nous influencent.

Table :
I  - Les “ premiers souvenirs ” n'existent pas
II - C'était un monde feutré et rassurant
III- Je devais avoir deux ou trois ans à l'époque de Vampire
IV- Nous vivions aussi à l'heure anglaise
V - Chaque moment de ma journée était habillé des mots de ma mère
VI- Ma mère n'aimait que le bleu et le blanc
VII- Ma mère était extrêmement pudique
VIII- Toutes les maisons de familles ont leur part de mystère
IX - Enfant, on m'avait donné un jeu
X  - Mon père n'était pas bavard
XI - A dix ans je ne savais rien de tout cela
XII- Ma mère a eu deux passion dans sa vie
XIII- De sa famille ma mèr en'aimait que la gloire
XIV - A côté d'elle
XV - Viry était très anglais
XVI - Je snetais bien que cette maison de Viry était différente
XVII - Mes parents se sont rencontrés avant que la guerre ne finisse
XVIII - Vers huit ou neuf ans ans, mes parents ont commencé à me lâcher
XIX - Il était à Saint-Petersbourg en 1900
XX - L'école a été la plaie de mon enfance
XXI - Mon école était une école catholique
XXII - Et maintenant je vais vous parler de mon baptême
XXIII - Voilà, le baptême a eu lieu

 

 

 


 

Cette lecture passe comme un songe, rêveries de l'enfance, évocations précises, proustiennes, à hauteur d'enfant…

(Lu en avril 2025, collection Médiathèque de Labarthe-sur-Lèze)