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S'adapter


S'adapter

S'adapter : roman / Clara Dupont-Monod, Editions Stock 2021 (Collection La bleue)

ISBN 9782234089549

 

 

 

 

C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire.

Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l’amour fou de l’aîné qui protège, de la cadette révoltée qui rejettera le chagrin pour sauver la famille à la dérive. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.

La naissance d'un enfant handicapé racontée par sa fratrie.

 

Un livre magnifique et lumineux.

présentation de l'éditeur


 Au fil de la presse...

Dans S’adapter, il y a des schistes et des eaux claires, des sentiers caillouteux et des murs de pierres sèches, des cigales et le chant du vent dans les pins. Paysage, matériau : les éléments sont ici moins les composants d’un décor – les Cévennes protestantes – que des protagonistes du récit.
Ce n’est pas un hasard si l’histoire qui nous est ici contée l’est par les pierres de la maison. Il était une fois trois frères et sœur. Puis un quatrième, plus tard venu. Le troisième est différent. « Inadapté ». Ses yeux ne voient rien, son corps ne le porte pas, sa bouche ne forme aucun mot. Il ne rit, ni ne bouge. L’aîné est bouleversé par la présence de cet être si peu adapté au monde. « Il aimait par-dessus tout l’impassible bonté, la primaire candeur de l’enfant… [Il] comprenait qu’il tenait là l’expérience de la pureté. » Il se fait mission d’en prendre soin et s’absorbe dans une forme de fusion fraternelle, jusqu’à s’y perdre. La cadette rejette de toutes ses forces l’étranger, porteur d’une différence qui a tracé entre sa famille et le monde dit « normal » une infranchissable frontière et lui a dérobé la sollicitude protectrice du grand frère.
Parce que Clara Dupont-Monod ne suit aucun chemin convenu, la cadette fait de ce rejet une force de vie au service de tous et notamment de son aîné qui, à force d’avoir pris soin du petit, ne sait plus trop vivre pour lui-même. Vient le quatrième, le « sorcier » à la bonté profonde, né dans l’ombre de la mort, qui conserve au creux de lui le souvenir de ce frère qu’il n’aura pas connu. Il lui appartiendra de porter haut le flambeau de la joie.
Roman profondément original par le regard empli de douceur qu’il pose sur une âpre réalité, S’adapter a été notamment couronné par le prix Femina et par le prix Goncourt des lycéens. Il nous parle de sollicitude et d’attention fine au monde et aux autres, d’amour fou et de puissance de vie.
Anne Le Maître (Revue Etudes)


 

Un livre bouleversant porté par une écriture magnifique me ramena à mon blog.  Il s’agit de S’adapter de Claire Dupont-Monod. Ce n’est pas une nouveauté, il a provoqué l’effervescence il y a un an et a été récompensé par de nombreux prix, en particulier le Goncourt des lycéens 2021, ce qui prouve que la jeunesse a du goût et du cœur.

Ce livre, j’ai mis du temps à le lire, aspirée par un maelstrom de sensations et le besoin d’aller happer une goulée d’air à l’extérieur tant le texte est juste et fort.
 

Ce court roman se présente comme un conte cruel.

Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté. Malgré sa laideur un peu dégradante, ce mot dirait pourtant la réalité d’un corps mou, d’un regard mobile et vide.

Il était une fois une famille dont nous ne connaîtrons pas le nom des personnages. Le père, la mère, le frère aîné, la petite sœur et le petit dernier. Des archétypes. Les parents, le frère aîné, la petite sœur, et l’enfant inadapté. La forme du conte est nécessaire dans ce texte qui refuse le pathos et évite l’écueil du témoignage avec une très grande pudeur. Cette mise à distance pour écrire ce qui déchire, transmettre avec une économie de moyens et une justesse de sensations la réalité du drame concerne tous les protagonistes: professeur de l’hôpital, psychologues, grand-mère (bienveillante comme dans beaucoup de contes et un peu sorcière), frère, sœur, etc. L’histoire est transcrite par les pierres de la cour de la maison, injonction biblique citée en exergue du roman :

« S’ils se taisent, les pierres crieront. »

Luc, 19:40

Le professeur de l’hôpital, par exemple :

Il vint, les appela. Il tenait des radios à la main. Il les invita à s’asseoir. Sa voix fut douce pour un verdict sans appel. Leur enfant grandirait, certes. Mais il resterait aveugle, ne marcherait pas, serait privé de parole, et ses membres n’obéiraient à rien puisque le cerveau ne transmettait pas ce qu’il faut. Il pourrait pleurer ou exprimer son bien-être, mais pas plus. Ce serait un nouveau-né pour toujours. Enfin, pas tout à fait. Le professeur expliqua aux parents d’une voix encore plus maternante que l’espérance de vie, pour ces enfants, ne dépassait pas trois ans.

Les parents jetèrent un dernier regard à ce qu’était leur existence. Désormais tout ce qu’ils s’apprêtaient à vivre les ferait souffrir, et tout ce qu’ils avaient vécu avant aussi, tant la nostalgie de l’insouciance peut rendre fou. Ils se tenaient donc sur une faille, entre un temps révolu et un avenir terrible, qui, l’un comme l’autre, appuyaient de leur poids de douleur.

(…) Les parents moururent un peu. (p.16-17)

Une famille de la montagne calviniste. Le fils aîné, la petite sœur, et l’enfant inadapté, celui qui va prendre tant de place, dévoiler les trésors d’amour et de patience chez l’un, le grondement de la révolte et de la colère chez l’autre et la fragilité mêlée de patience et d’amour des parents qui s’emploient à faire tenir debout cette famille laminée par le destin.

Ce drame intemporel de l’enfant handicapé est ancré dans la peu reluisante réalité contemporaine de l’aide.

Dans les mairies, les services sociaux, les instances prétendument dédiées à l’aide des familles, les ministères, on leur enfonçait la tête sous l’eau, multipliant les difficultés. Le parcours était glacial, inhumain, jalonné d’acronymes, MDPH, ITEP, IME, CDAPH. Les interlocuteurs se montraient absurdement tatillons ou d’une odieuse nonchalance, cela dépendait. Les parents en parlaient le soir à voix basse. Ils durent se plier à des règles folles. Ils entrèrent dans des pièces grises où les attendait un jury qui déciderait si, oui ou non, ils seraient éligibles à une allocation, un recours, une étiquette, une place. (…) Ils découvrirent l’obligation, tous les trois ans, de prouver que l’enfant était toujours handicapé (« Parce que vous pensez que ses jambes ont repoussé en trois ans ? » avait hurlé une mère devant un bureau). (…) Les parents découvrirent le grand no man’s land des marges, peuplées d’êtres sans soin ni projet ni ami.

Heureusement il y a la montagne cévenole, la splendeur de la nature qui infuse vitalité et apaisement aux différents personnages et transforme le texte en ode à la vie. Si ce n’est déjà fait, lisez le texte bouleversant de Clara Dupont-Monod. Il changera sans doute votre regard sur la famille de l’enfant handicapé et vous fera découvrir une remarquable écriture. La force du témoignage maquillé en conte, lorsqu’il est porté par des mots pareils, porte au plus haut degré la notion de littérature.
Nicole Giroud (blog personnel)

 

 extrait : 

 « On posait l’enfant sur le canapé, la tête calée sur un coussin. Cela suffisait à le rendre heureux. Il écoutait. A son contact, l’aîné apprit le temps creux, l’immobile plénitude des heures. Il se coula en lui, comme lui, pour accéder à une exceptionnelle sensibilité (froissement au loin, rafraîchissement de l’air, murmure du peuplier dont les petites feuilles, retournées par le vent, brillent comme des paillettes, épaisseur d’un instant chargé d’angoisse ou rempli de joie). C’était un langage des sens, de l’infime, une science du silence, quelque chose qu’on n’enseigne nulle part ailleurs. A enfant hors norme, savoir hors norme, pensait l’aîné. Cet être n’apprendrait jamais rien et, de fait, c’est lui qui apprenait aux autres. »

Terrible récit à plusieurs voix sur le bouleversement des liens familiaux qui survient avec la naissance d'un enfant lourdement handicapé. L'écriture limpide et bouleversante de Clara Dupont-Monod nous prend par la main et nous fait éprouver les sensations que l'on suppose accessibles à 'l'enfant' (qui ne sera jamais nommé, pas plus que les autres personnages). La narration s'appuie sur les pierres enchassées dans le mur d'enceinte de la propriété familiale , dans une bourgade des Cévennes. La fratrie sera définitivement marquée par la personnalité silencieuse mais puissante de l'enfant, bien au-delà de sa brève existence. 

(Lu en février 2023, collection Médiathèque Françoise Giroud, Labarthe-sur-Lèze)