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Leurs enfants après eux
Leurs enfants après eux

Leurs enfants après eux : roman / Nicolas Mathieu - Arles : Actes sud, 1991 (Collection Domaine français)

ISBN 978-2-330-10871-7

 

 

 

 

 

Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence.

Avec ce livre, Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments, de Smells Like Teen Spirit à la Coupe du monde 98, pour raconter des vies à toute vitesse dans cette France de l’entre-deux, des villes moyennes et des zones pavillonnaires, de la cambrousse et des ZAC bétonnées. La France du Picon et de Johnny Hallyday, des fêtes foraines et d’Intervilles, des hommes usés au travail et des amoureuses fanées à vingt ans. Un pays loin des comptoirs de la mondialisation, pris entre la nostalgie et le déclin, la décence et la rage.

 

« AU DÉPART, ON POURRAIT TENTER CETTE HYPOTHÈSE : un roman, ça s’écrit toujours à la croisée des blessures. Ici, j’en verrais trois, disons les miennes.
D’abord, l’adolescence. J’ai été cet enfant qui finit, qui rêve de sortir avec la plus belle fille du bahut, et veut sa part du gâteau. Et puis la plus belle fille ne veut rien savoir, le monde reste insaisissable, le temps passe et c’est encore le pire. Il y aura des étés, des flirts, les poils qui poussent, la voix qui mue. Ce sera le plus beau de la vie, et le plus cruel aussi. Dans une histoire, j’essaierai de mettre des mots là-dessus, la cicatrice à partir de quoi tout commence.
L’autre plaie, ce serait celle du social et des distances. Quand j’étais petit, on m’a raconté un mensonge, que le monde s’offrait à moi tel quel, équitable, transparent, quand on veut on peut. Mais un jour, peut-être grâce aux livres, le voile s’est déchiré et j’ai commencé à comprendre. Cette leçon des écarts, des legs et des signes distinctifs, cette vérité des places et des hiérarchies, ce sera mon carburant.
Enfin, il y a ce départ. Je suis né dans un monde que j’ai voulu fuir à tout prix. Le monde des fêtes foraines et du Picon, de Johnny Hallyday et des pavillons, le monde des gagne-petit, des hommes crevés au turbin et des amoureuses fanées à vingt-cinq ans. Ce monde, je n’en serai plus jamais vraiment, j’ai réussi mon coup. Et pourtant, je ne peux parler que de lui. Alors j’ai écrit ce roman, parce que je suis cet orphelin volontaire. »

N. M.

présentation de l'éditeur


 Au fil de la presse...

Nicolas Mathieu

1992, 1994, 1996, 1998. Quatre étés dans la vie d’adolescents issus d’une ville de l’est de la France qui connaît la désindustrialisation et ce que ça implique, en termes de désœuvrement et de consommation d’alcool. Leurs espoirs vont-ils se fracasser devant une réalité loin d’être rose, mais aussi devant leurs propres médiocrités ? C’est leurs histoires mais aussi celles de toute une vallée qui semble avoir été mise de côté.

C’est seulement le deuxième roman pour cet auteur venu des Vosges mais c’est déjà un coup de maître puisque Leurs enfants après eux a remporté en 2018 la plus grande récompense pour un livre français à savoir le Prix Goncourt. Aux animaux la nuit, sa première œuvre, avait été remarqué, au point d’être adaptée en série en fin d’année avec Roschdy Zem dans le rôle principal. C’est donc dire si la carrière de ce « jeune » auteur est déjà lancée sur de bons rails. Etant donné le très faible nombre de livres (notamment français) que je lis dans une année, je ne peux en aucun cas me prononcer pour savoir si ce Goncourt est mérité mais il semble qu’il n’y ait pas eu de grandes polémiques du côté des critiques, chacun reconnaissant la qualité de l’œuvre. Personnellement, c’est un livre que j’ai trouvé assez marquant et duquel il n’est pas facile de véritablement se détacher tant, au fil des pages, on est devenu proche de ces personnages principaux qui sont pourtant assez éloignés de ce que j’ai pu connaître au cours de ma jeunesse. Il y a d’abord une question de génération puisqu’il s’agit là de cette d’avant, celle née au début des années 80. Mais aussi de lieu de naissance puisqu’ici, Heillange (ville fictive qui fait forcément penser à Hayange, en Moselle) se situe au plein cœur d’une vallée dévastée par la fin de la sidérurgie, à la même époque.

 

Malgré leur côté particulièrement agaçant (et notamment cette énergie qu’ils semblent parfois mettre pour rater ce qu’ils entreprennent, on a vraiment envie de savoir ce qu’il va advenir d’Anthony, Hacine et les autres. Parce que, s’ils sont bien différents de ce que l’on a pu connaître plus jeune, il y a dans la description des sentiments et des espoirs de ces jeunes quelque chose qui touche à l’universel, notamment dans cette manière de vouloir quitter le « nid familial » tout en faisant à peu près tout pour, dans les faits, y retourner et y rester. Ainsi, Anthony et Hacine, chacun à leur manière, échouent à partir durablement et finissent par reproduire des schémas qu’ils ont connu plus jeunes et auxquels ils voulaient échapper. Ainsi, certains lieux comme le lac ou encore le bar appelé L’Usine, deviennent des symboles de ces retours continuels que rien ne semble pouvoir entraver. Et puis, il faut avouer que s’installe au fil des pages (et surtout dans la deuxième moitié) un petit côté « thriller » ou « page turner » que l’auteur, avec ses ellipses en fin de chapitre, maitrise plutôt bien. On a toujours envie de savoir quelle va être la suite des aventures d’Anthony, Hacine et les autres. Même si, pour être honnête, on n’a pas grand espoir pour eux. Bref, c’est le genre de livre qu’on a du mal à lâcher avant de l’avoir fini.

 

Alors, oui, c’est dur, avec un déterminisme certain (celle qui s’en sort le mieux vient de la famille la mieux nantie au départ, et a conscience très tôt de ce qui se joue dans son lieu de naissance et de ce qu’il faut faire pour en sortir définitivement) mais je pense que cette description s’inscrit dans une réalité certaine. Et si les histoires se déroulent au cœur des années 90, le propos général résonne forcément de façon assez particulière aujourd’hui, notamment sur cette description de territoires oubliés, où la pauvreté fait des ravages. Dans l’esprit, cela m’a fait penser à Sangliers de Aurélien Delsaux, dans la manière de décrire sous forme de fresque l’existence de plusieurs personnages provenant d’un même endroit. J’ai tout de même trouvé dans Leurs enfants après eux un peu plus de puissance dans la narration et de force dans chacun des personnages (sans doute parce que Nicolas Mathieu se concentre sur un nombre moins important de protagonistes). L’auteur est parfois à la limite de la caricature et donc d’un certain mépris, mais il parvient à rester la grande majorité du temps du bon côté de la « frontière » puisqu’on sent une affection certaine du romancier pour ses personnages. Là où, En finir avec Eddy Bellegueule, par exemple m’avait mis mal à l’aise car on sentait quelque chose de malsain derrière. Là je ne trouve pas que ce soit le cas. Avec son écriture très juste, parfois assez crue, mais dont une poésie certaine est rarement absente Nicolas Mathieu parvient en tout cas à plonger le lecteur à la fois dans cette époque et dans cet endroit. Et fait qu’il a du mal à en repartir indemne. Joli tour de force.

« On se demandait tout de même quelle vie pouvaient mener ces gens, dans leurs médiocres logis, à manger gras, s'intoxiquant de jeux et de feuilletons, faisant à longueur de temps des gosses et du malheur, éperdus, rageux, résiduels. Il valait mieux éviter de se poser la question, de les dénombrer, de spéculer sur leur espérance de vie ou leur taux de fertilité. Cette engeance marinait sous les seuils, saupoudrée d'allocs vouée à finir et à faire peur. »


Nicolas Mathieu livre là une œuvre puissante, qui reste en mémoire longtemps après sa lecture, tant le lecteur s’est finalement attaché à ces adolescents qui ont pourtant à peu près tout pour être énervants. C’est en grande partie grâce au style de l’auteur, à la fois acéré et réaliste, tout en étant capable d’une poésie parfois déroutante. C’est presque certain que ce livre sera adapté au cinéma, tâche pas forcément facile pour celui qui s’y collera !

(blog timfaitsoncinema.fr)

 

 

On est happé par le souffle continu du récit, l'auteur dressant des tableaux familiaux successifs parmi des familles disparates résidant dans la même commune sinistrée après la fermeture d'une aciérie (Métalor) dans le nord-est de la France (Hayange et Fameck deviennent dans sa fiction Heillange et Lameck) choisissant quatre étés (1992, 1994, 1996, 1998). Le point d'ancrage demeure un groupe d'adolescents qui se cherchent, s'interrogent sur leur avenir, leurs sentiments. En devenant adultes à leur tour, ils 'redécouvrent' leurs propres parents avec leurs fragilités, leurs défauts et faiblesses. 


(Lu en novembre 2022, collection Médiathèque Françoise Giroud, Labarthe-sur-Lèze)