Films, Musiques & Livres

 

Beckett
Beckett

film : thriller (Italie, Brésil), titre original : "Born to be murdered", 108 min, 2021

Réalisation: Ferdinando Cito Filomarino

Scénario : Ferdinando Cito Filomarino Kevin A. Rice

Décors : Eliott Hostetter

Costumes : Giulia Piersanti

Photographie : Sayombhu Mukdeeprom

Montage : Walter Fasano

Musique : RyÅ«ichi Sakamoto

Production : Luca Guadagnino, Francesco Melzi d'Eril, Marco Morabito, Gabriele Moratti et Rodrigo Teixeira

Production déléguée : David Kajganich et Lisa Muskat

Sociétés de production : Rai Cinema, Frenesy Film Company, MeMo Films, RT Features, Faliro House Productions

Sociétés de distribution : Rai Cinema, Frenesy Film Company, MeMo Films, RT Features et Faliro House Productions

Avec... John David Washington (Beckett), Alicia Vikander (April), Boyd Holbrook (Tynan), Vicky Krieps (Lena), Daphne Alexander : Thalia Symons, Yorgos Pirpassopoulos (Karas), Lena Kitsopoulou, Panos Koronis  (un policier), Isabelle Magara (l'infirmière du village), Marc Marder (l'officier Majessey)

 

Synopsis 

Quand un accident tragique le précipite dans un complot politique, un touriste américain en vacances en Grèce se lance dans une fuite désespérée pour sauver sa peau.

 

Dans la presse et au fil des blogs...

Derrière son scénario épuré, le film de Ferdinando Cito Filomarino rend brillamment hommage au cinéma d’action américain des années 1970 à forte tendance paranoïaque. Par sa belle singularité, “Beckett” offre une rime riche à “Tenet”, de Christopher Nolan.

Un film d’action dopé à la nostalgie du cinéma des années 1970, c’est la formule intéressante qu’apporte à Netflix l’inattendu duo italien de Beckett. Derrière la caméra, Ferdinando Cito Filomarino, 34 ans, signe sa seconde réalisation, après Antonia (2015), resté inédit. Son producteur et ex-partenaire à la ville, Luca Guadagnino, est plus connu : il a notamment signé Call Me By Your Name (2017) et Suspiria (2018) et s’est signalé par son travail sur une esthétique volontiers rétro-pop, comme par son utilisation inspirée des décors, même lorsqu’ils sont naturels – chaque coin de rue, chaque maison comptait dans la Lombardie de Call Me By Your Name, aussi essentielle au film que l’île de Pantelleria dans le précédent A Bigger Splash (2015). Pour Beckett, Luca Guadagnino a fait appel à son talentueux chef opérateur, le Thaïlandais Sayombhu Mukdeeprom, qui fut lancé par Apichatpong Weerasethakul. Le résultat, subtil, est une image dont l’absence de style marqué est un style à part entière, qui cite directement le réalisme brut associé à ce cinéma d’action américain des années 1970, dont Beckett retrouve le plaisir.

Caché derrière les collaborateurs marquants et les références de poids, le réalisateur Ferdinando Cito Filomarino n’a non seulement pas peur de la dépersonnalisation mais il en fait son sujet en mettant en scène un homme dont on ne sait rien, précipité dans une histoire à laquelle il ne comprend rien. Incarné par le formidable John David Washington, le dénommé Beckett n’est qu’un simple touriste noir américain qui vit une romance charmante et banale, les yeux dans les yeux avec sa jolie girl friend (Alicia Wikander), dans un pays de vacances, la Grèce. Jusqu’à cet accident au cours duquel la voiture du couple traverse les murs d’une maison où Beckett a la vision fugace et baroque d’un enfant roux qui l’appelle à l’aide… À partir de là, c’est lui que la police, avec un acharnement aveugle, voudra tuer. Sans une explication.

Tragédie grecque

Ce scénario épuré permet de recréer le climat du cinéma américain paranoïaque dont Les Trois Jours du Condor de Sydney Pollack reste l’indépassable modèle, depuis 1975. Ferdinando Cito Filomarino cite également À cause d’un assassinat (1974) d’Alan J. Pakula, dont les enjeux politiques trouvent des échos dans la Grèce de 2015, celle des soubresauts de la crise de la dette publique, qui a été choisie pour son instabilité, une menace de chaos habilement mêlée à celle qui chamboule la vie du personnage. Cet homme auquel rien ne nous rattache est rendu pourtant attachant par John David Washington, qui a pris quelques kilos de trop pour devenir Beckett et, comme celui-ci, ne semble jamais avoir les qualités physiques requises pour affronter les situations où il se trouve jeté. Ainsi, cette cascade à la Batman dans laquelle il s’engage en ayant l’air de se préparer à mourir. Ce qui donne, au passage, peut-être la seule clé autorisant une lecture de cet anti-héros : Beckett serait un spectre, quelqu’un qui aurait dû mourir et qui, par erreur, se débat encore avec les vivants, pour un enfant kidnappé dont il a seulement croisé le regard et qui l’aurait, en quelque sorte, envoûté…

Bizarrerie omniprésente

 

Réalisé avec tempérament mais aussi avec la légèreté qui devait présider à la mise en boîte d’un film de genre dans les années 1970, Beckett séduit par une étrangeté omniprésente. Même dans certaines scènes plus faibles que d’autres, une vraie bizarrerie passe. Comme un sentiment de flottement et de vide qui tiendrait lieu de principale réponse aux mystères de l’intrigue. À cause de cette manière séduisante de tordre les codes simples du cinéma d’action, à cause de John David Washington et du titre Beckett, on pense forcément un peu à Tenet. Mais Ferdinando Cito Filomarino a lui-même précisé qu’il était déjà en tournage au moment où Christopher Nolan n’en était, lui, qu’à faire le casting de son film. Reste que Netflix a sans doute voulu trouver une rime en remplaçant par Beckett le premier titre retenu, Born to Be Murdered (« né pour être assassiné »). Un choix qui a l’avantage de mettre le public sur la bonne piste, celle d’une chasse à l’homme pas conventionnelle et flirtant même avec une précieuse absurdité, presque à la Samuel Beckett.

Frédéric Strauss (Télérama)

 


 

Présentée comme une course à la vérité haletante dans une Grèce rongée par une conspiration de grande envergure, Beckett est finalement bien moins ambitieuse que ce que laissait présager la promotion faite par Netflix. En revanche, le film porté par John David Washington et Alicia Vikander parvient à offrir quelques bouffées d'air frais bienvenues au genre ultra-codifié du film de complot.

COM-PLOT-TWIST
Le pompon pour un film de complot, c'est quand même de rater son complot. Les possibilités sont vastes et on peut vite se perdre. D'abord en faisant des poupées russes de conspirations où tout le monde trahit tout le monde à commencer par le scénariste. Puis en dressant une conspiration si vastement absurde que les reptiliens adeptes de Raptor Jesus passent pour une excellente option... Chez Beckett, point de tout cela. C'est par imprécision et non par excès de détails que le film pêche. La quantité d'information est raisonnable, mais les contours sont trop flous pour y voir clair.
Les bad guys sont d'abord un groupe d'extrême droite infiltré dans les forces de police, puis un groupe d'extrême gauche pour enfin conclure sur le fait qu'il s'agit d'une simple histoire mafieuse. Le gouvernement américain y est impliqué, mais pas vraiment, enfin si, mais... bref, le film semble chercher à jouer avec nos attentes et les faux-semblants. Sauf qu'il finit par s'embourber dans le sillage qu'il a lui-même tracé. On ne comprend jamais les ramifications d'une conspiration qui semble remonter loin, mais qui restera "Secret défense" aux yeux des spectateurs comme le répète ad-nauseam le personnage de Boyd Holbrook.

Photo, Boyd Holbrook"Je vous ai dit que j'étais méchant ?"

 

Idem pour les incarnations physiques de cette menace tentaculaire. Les bad guys installés au début (dont un clone grec de Robert De Niro) disparaissent à la moitié du film pour sortir de nulle part juste à la conclusion. L'objectif étant sans doute de laisser la place au personnage de Boyd Holbrook incarnant le versant gouvernement américain de ce complot. Mais ici aussi, malgré tout le charisme de son interprète, on a du mal à dépasser le sentiment poli d'ennui face à une menace qui semble se limiter à trois pleupleus quand on nous vend un complot d'ampleur internationale

En faisant reposer son film sur des antagonistes aussi bancales, le film ne parvient jamais à susciter un sentiment d'urgence profond créant l'illusion que le protagoniste principal pourrait disparaître au moindre faux pas. La tension remonte au détour de certaines séquences, mais l'ensemble laisse plus l'impression d'un diaporama de vacances ponctuées de quelques éclats de violence bienvenue. Sans doute Ferdinando Cito Filomarino voulait-il nous faire ressentir un complot à hauteur de simple citoyen égaré dans un pays inconnu, mais il parvient surtout à nous donner le sentiment d'être un touriste dans son propre long-métrage. Une impression qui rejaillit jusqu'à la mise en scène de Beckett.

 

Photo, John David Washington"Il va par où le scénario déjà ?

 

PLATISTE DE LA RÉALISATION

Les scènes de confrontation entre notre protagoniste et les responsables du complot sont symptomatiques des limites, mais également des qualités de la mise en scène de Filomarino. Le long-métrage en compte moins de cinq, dont la qualité et l'intensité montent crescendo. Les premières sont les plus poussives, notamment la scène du train semblant être montée sciemment pour en désamorcer toute violence et toute tension. Mais Filomarino évite le piège de la Shaky Cam façon Jason Bourne en proposant un découpage de plus en plus précis. Le summum est atteint avec la dernière scène de confrontation entre notre protagoniste et les deux antagonistes fantômes. Filomarino parvient à organiser un ballet confus, à l'image de l'état de notre héros, mais toujours lisible en termes de mise en scène. La tension monte enfin, soulignée par l'excellente musique composée par Ryuchi Sakamoto (Furyo, le vrai Snake Eyes, The Revenant) et on aurait presque peur pour la vie d'un John David Washington haletant loin de la douce léthargie des confrontations précédentes.

 

Photo, John David WashingtonSpectateur médusé devant les scènes d'action

 

En fait, Filomarino ne conforme jamais sa caméra aux codes habituels des films de complot. Il ne cherche pas à nous resservir du Sydney Pollack, Alfred Hitchcock ou du Alan J. Pakula passé au micro-ondes. Ex-compagnon et réalisateur de seconde équipe de Luca Guadagnino sur Call Me by Your Name, A Bigger Splash et Suspiria, Filomarino semble presque chercher à annuler la tension de son récit pour mieux contempler son héros dériver. Au lieu de nous emporter dans une fuite trépidante et rythmée, Filomarino préfère poser sa caméra. On pourrait arguer que l'Italien ne sait juste pas filmer de manière nerveuse, et qu'il n'était pas le candidat idéal pour mener ce récit tambour battant. Au contraire, sa réalisation apporte justement une touche rafraîchissante en proposant un rythme plus calme, plus apaisé comme si le séjour romantique d'Alicia Vikander et John David Washington en Grèce avait contaminé l'entièreté du film.  

Photo, John David Washington, Alicia VikanderLa Mémoire (de vacances) dans la peau 
 
À LA GRÂCE DE LA GRÈCE
En arrachant son personnage principal à la dictature de l'échappatoire permanente, Filomarino parvient à mieux l'ancrer dans le paysage grec. Rarement vue au cinéma, le film nous offre une Grèce dépouillée, d'abord boisée et minérale pleine de petits villages puis sa capitale, gangue de béton ultra étalée. Accordé au rythmece choix donne au film un côté balade champêtre / road movie pas désagréable. Idem pour la question du complot, qui s'ancre parfaitement dans la réalité du pays.Le groupe d'extrême droite Soleil Levant qui aurait kidnappé le neveu de l'homme politique Karras est une vraie organisation politique. Ce dernier rappelle d'ailleurs étrangement Alexis Tsipras, de par son discours sur la dette et l'Union européenne. L'atmosphère des manifestations est également bien reconstituée même si, encore une fois, on peut en déplorer l'absence de nervosité. Surtoutl'implication des États-Unis dans un tel complot pour faire tomber un homme politique de gauche a des relents de Guerre froide très réalistes.  

photo, John David Washington  
Ironiquement, le dénouement du film dévoile le vrai sujet de fond qui aura été aussi absent du long-métrage que nos bad guys principaux : le deuil et la fuite face à ce dernier, à la fois littérale et figurée. Le personnage de John David Washington est en fait rongé par la culpabilité suite à la mort de sa femme, et c'est en cherchant à revoir une dernière fois son corps qu'il plongera tête baissée dans la machine infernale du complot. Sa quête de vérité n'est en fait qu'un écran entre lui et ses remords, et même s'il remporte une victoire sur le complot, c'est pour mieux revenir à sa propre douleur.
Une idée excellente qui aurait pu conférer une puissante charge métaphorique à Beckett, mais finit par tomber à plat en ne revenant que sporadiquement à l'écran. Un résultat décevant quand on voit l'attachement que parvient à susciter en Filomarino envers le couple Alicia Vikander-John David Washington en peu de scènes.
L'acteur de Tenet est d'ailleurs l'un des principaux atouts du film, immédiatement crédible en touriste égaré dans un pays et une affaire qui le dépasse, et idem pour Vikander. La pauvre Vicky Krieps se retrouve sacrifiée par le scénario malgré un joli rôle et Boyd Holbrook est définitivement fait pour incarner des méchants délicieusement détestables.

Raphaël Iggui (ecranlarge.com)

Un touriste américain dont les douces vacances en Grèce avec sa compagne tourne à la catastrophe : ce serait un film anodin s'il ne nous offrait pas une vision très originale et authentique de la Grèce des campagnes puis d'Athènes finalement bien loin des images stéréopypées. La réalisation est parfois un peu maladroite, tâtonnante, mais cela n'enlève rien à l'intérêt suscité de bout en bout par cette histoire qui filme la détresse d'un homme en terre étrangère.

Vu en août 2021 (Netflix)