film : drame (Etats-Unis), 104 min, 2017
Réalisation, scénario :Chloé Zhao
Photographie : Joshua James Richards
Montage : Alex O'Flinn
Musique : Nathan Halpern
Supervision musicale : Ben Sokoler
Son : Mike Wolf Snyder
Producteurs : Chloé Zhao, Bert Hamelinck, Mollye Asher, Sacha Ben Harroche
Coordinatrice de production : Sarah L. Lotfi
Production : Highwayman films, Caviar
Distribution en France : Les films du Losange
Avec... Brady Jandreau : Brady Blackburn, Tim Jandreau : Wayne Blackburn, Lilly Jandreau : Lilly Blackburn, Cat Clifford : Cat Clifford, Terri Dawn Pourier : Terri Dawn Pourier,Leroy Pourier (Frank), Tanner Langeau (Tanner Langdeau)
La quête existentielle d'un jeune cow-boy handicapé, qui refuse d’abandonner sa vie périlleuse au contact des chevaux... Un post-western épuré à la beauté crépusculaire et le deuxième long métrage de la très primée Chloé Zhao (elle a obtenu trois Oscars récemment pour "Nomadland").
Dresseur de chevaux doué, le jeune cow-boy Brady n’a pas supporté d’être handicapé à la suite d’une mauvaise chute lors d’un rodéo, qui a nécessité la pose d’une broche dans son crâne. Monter à cheval lui est désormais interdit, mais, aussi indomptable qu’un étalon sauvage, il ne veut pas renoncer à ce que fut sa vie avant le drame.
Légendes perdues
Cette histoire vraie, où des acteurs non professionnels jouent leur propre rôle, fonctionne comme une parabole : usé comme un vieux Stetson, le rêve américain a perdu de sa superbe. Muré dans ses rêves et son amour absolu des chevaux, Brady, frappé d’impuissance, doit renoncer à son statut d'étoile montante du rodéo. Autour de lui, un père loser et prodigue, une sœur déficiente mentale, un meilleur ami tétraplégique à la suite d’un autre mauvais rodéo lui tendent le miroir d’un avenir possiblement tragique. Malgré cet horizon déceptif, Brady semble porté par la grâce et le lien quasi surnaturel qu’il entretient avec les chevaux. Son interprète, Brady Jandreau, impressionne par sa sobriété dans ce film de Chloé Zhao entre documentaire et fiction, qui rayonne comme un chant crépusculaire à la beauté épurée.
(Arte TV)
Chinoise exilée à New York, Chloé Zhao (oscarisée récemment pour Nomadland) s’est prise d’affection pour les Oglalas, des Sioux de la tribu des Lakotas, qui survivent dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Après son premier film, Les Chansons que mes frères m’ont apprises (2015), sur un adolescent sioux qui choisissait de fuir pour se sauver, elle revenait à Pine Ridge, dans la famille d’un jeune dresseur de chevaux. Brady, étoile montante du rodéo, a décidé de rester parmi les siens, coûte que coûte. Autour de lui, tous les acteurs, non professionnels, campent ceux qu’ils sont dans la vraie vie. C’est le coup de sabot d’un mustang sur le crâne de Brady qui a permis à ce western réaliste d’exister. Car l’homme souffre d’avoir abattu son cheval blessé et de devoir, lui si fracassé, s’acharner à vivre. Dans des paysages sublimes, filmés à l’aube ou au crépuscule pour donner des couleurs à des existences qui en manquent cruellement, Chloé Zhao aborde des questions aussi cruciales que l’assimilation, la relation homme-animal, la nature et la culture. Ses cow-boys indiens anachroniques, que le monde moderne voudrait contraindre à travailler au supermarché, en évoquent d’autres, dont les fantômes hollywoodiens surgissent dans les plaines et collines du Dakota. Comme le Robert Mitchum des Indomptables, de Nicholas Ray, lui aussi gloire du rodéo blessée, qui ne pouvait se résoudre à abandonner les arçons…
Jérémy Couston (Télérama)
La réalisatrice Chloé Zhao chronique la vie d’une famille indienne inscrite dans la tradition du western.
Puisque la réalisatrice, Chloé Zhao, malade, n’a pu venir à Paris, on ne saura pas le détail de l’étonnant voyage qui a amené une cinéaste née à Pékin à se faire la chroniqueuse de la vie quotidienne du Far West, le vrai, celui du XXIe siècle. Comme son premier long-métrage, Les Chansons que mes frères m’ont apprises (2015), The Rider a été tourné sur une réserve sioux du Dakota du Sud. On y retrouve les mêmes espaces sublimes et désolés des Badlands, le même tissu social fragile qui entrecroise la mémoire du destin des premières nations et la précarité, économique et sanitaire.
Cette fois, le traitement impressionniste d’une société enfermée dans un cul-de-sac de l’histoire fait place à l’épopée intime, qui suit les traces d’un héros comme on n’en avait pas vu depuis longtemps, cavalier émérite coiffé d’un Stetson, un jeune ambitieux qui veut être respecté et adulé dans tout l’Ouest, à qui le destin joue de sales tours. On y retrouvera une bonne part de ce qui a fait, depuis un siècle, la grandeur du western – l’ampleur des chevauchées, la lutte pour l’espace, l’affrontement entre les cultures et les modes de vie –, modelé par un souci constant de faire sa place au réel. La tentative n’est pas inédite, mais Chloé Zhao la mène à bien comme peu de cinéastes ont su le faire, vigoureusement, délicatement.
Quand on découvre Brady Blackburn (Brady Jandreau), face à un miroir, sa chevelure à moitié rasée lui donne l’air d’un Iroquois asymétrique, sa mine angoissée et butée en fait un lointain cousin du Travis Bickle de Taxi Driver. Précautionneusement, le jeune homme se défait du pansement qui recouvre une terrible plaie. Grand espoir du circuit des rodéos, le jeune homme a été jeté à bas par sa monture qui lui a fracassé le crâne. Cet accident, dont les circonstances ont été empruntées à la biographie de Brady Jandreau mais dont les séquelles ont été, dans la réalité, moins lourdes, interdit en théorie à Blackburn de remonter à cheval, de vivre des deux métiers qui sont les siens, cavalier de rodéo et dresseur de chevaux.
En une succession de séquences qui semblent toutes arrachées à la vie quotidienne sur une réserve, Chloé Zhao construit le récit de la tempête qui fait rage sous le crâne fracturé de Brady. Le jeune homme vit dans un mobile-home avec son père, Wayne, et sa sœur, Lilly, handicapée (les deux rôles sont tenus par le père et la sœur de l’acteur). La mère et épouse gît tout près, dans un petit cimetière battu par le vent.
Comme son fils, Wayne vit – ou plutôt vivote – de sa science équestre. Lorsqu’il comprend que Brady est résolu à ne pas tenir compte de l’avis des médecins et à remonter en selle, ce père peu fiable (il oublie de payer le loyer, passe beaucoup de temps dans les casinos de la réserve) tente de l’en dissuader. Brady rend aussi visite à Lane, son ami et modèle, un type qui « a gagné 15 000 dollars en un été », en montant des taureaux. Victime d’un accident de voiture, Lane est resté tétraplégique, communique difficilement. Comme Brady qui regarde sur son téléphone la vidéo de son accident, le chevaucheur de taureaux contemple ses exploits passés sur un petit écran.
D’un côté, il y a la révolte face à la fatalité, le rappel incessant de la vocation par les voisins, par les clients qui voudraient que Brady débourre un cheval, en corrige un autre, de l’autre il y a les avertissements des médecins, les tentatives maladroites du père, les appels plus directs de la sœur, atteinte d’une forme d’autisme, pour ramener le jeune homme à la prudence, à la survie.
Chloé Zhao joue avec beaucoup de finesse de la contraction et de l’expansion de l’espace. L’espace intérieur de Brady, tiraillé entre son rêve de grandeur et le lien très fort qui l’unit aux siens. L’espace de la réserve, fait d’intérieurs médiocres (le mobile-home, le supermarché dans lequel le jeune homme tient un emploi qu’il voudrait croire provisoire, le salon de tatouage improvisé de l’un de ses amis) et d’extérieurs dont les horizons semblent aussi lointains que ceux de l’océan.
L’image de Joshua James Richards passe au même rythme d’un réalisme documentaire au lyrisme. Dans ces moments, lorsque le film traverse un instant l’iconographie du western classique – un homme coiffé d’un grand chapeau qui traverse une plaine à cheval –, le genre prend alors une vigueur nouvelle, faite du deuil de ce que la conquête de l’Ouest a détruit et de la vitalité de ceux qui y ont survécu.
par Thomas Sotinel (Le Monde)
La nuit, Brady rêve de chevaux sauvages. Le matin, face à son miroir, l’homme qu’il contemple n’est plus tout à fait le même. Une énorme cicatrice atteste de la violence de l’accident dont a été victime ce jeune espoir du rodéo du Dakota du Sud, quand il est tombé sur une jument récalcitrante, qui lui a fracturé le crâne d’un coup de sabot. Des images qu’il se repasse en boucle sur son téléphone portable. Sa convalescence avançant, se pose la question : raccrocher la bride ou remonter en selle, comme le pressent de le faire ses copains, mais au risque de mettre à nouveau sa vie en danger ?
Pour son second long métrage après "Songs My Brothers Taught Me", la cinéaste chinoise Chloé Zhao (qui a étudié le cinéma à New York) se plonge dans un univers très masculin, celui du rodéo. Avec ces cow-boys modernes chevauchant, durant quelques secondes, des mustangs et des taureaux déchaînés. C’est sans doute cette distance dans le regard qui lui permet de filmer au plus juste cette Amérique profonde sans jamais la surplomber, en se glissant au contraire en son sein pour en montrer les espoirs, les rêves mais aussi et surtout les désillusions.
Si "The Rider" sonne si juste, c’est à cause de la démarche inhabituelle de la cinéaste. Car s’il s’appelle Brady Blackburn à l’écran, son cow-boy désenchanté est bien réel. Il s’agit de Brady Jandreau, qui joue ici son propre rôle, aux côtés de son père, de sa sœur handicapée et de ses amis et collègues. Dont Lane Scott, gloire éphémère du rodéo aujourd’hui paralysé et incapable de parler suite à un accident de voiture. Cette explosion du réel au cœur même de la fiction confère une force incroyable à cette méditation sur la difficulté de renoncer à ses rêves. Et même ici, à la raison d’être et de vivre du héros : chevaucher au vent sur sa monture.
Très remarquée à la Quinzaine des réalisateurs cannoise, cette coproduction belge (via la branche US de la société de production flamande Caviar) est une œuvre envoûtante. Optant pour une mise en scène épurée, laissant parler les fantastiques paysages du Midwest, Chloé Zaho parvient, derrière le portrait de son héros contemporain, à mettre en scène une Amérique en perte de repères, qui se raccroche comme elle peu à son passé, à cette figure anachronique du cow-boy solitaire qui n’existe déjà plus…
Dans le contexte de ce western du réel, la cinéaste interroge également avec beaucoup de finesse le thème de la liberté individuelle. Une valeur cardinale du rêve américain, sans cesse remise en question ici. Car est-on vraiment libre d’être qui l’on veut face à la pression des amis, de l’entourage, de la société de rester "un homme, un vrai" et de remonter sur son cheval ?
par Heyrendt Hubert (La libre Belgique)
Vu en mai 2021 (Arte TV)