Le dernier Atlas [roman graphique]. Tome 1 / scénario Vehlmann & De Bonneval ; dessin Tanquerelle ; design Blanchard ; Couleurs Laurence Croix .- Marcinelle (Belgique) éditions Dupuis, 2019
ISBN 979-10-347-3928-8 (rel.)
Ismaël Tayeb est lieutenant dans un gang criminel. Son grand patron lui donne un ordre qu'il ne peut refuser : trouver une pile nucléaire... Pour cela il va devoir remettre en marche et voler le dernier Atlas, un de ces immenses robots français qui géraient des constructions titanesques jusqu'au milieu des années 70, mais qui, suite à un grave incident à Batna durant la guerre d'Algérie, ont tous été démantelés à l'exception du George Sand. Au même moment, Françoise Halfort, ex- reporter de guerre, se retrouve confrontée dans le parc de Tassili à un phénomène écologique et sismique sans précédent qui va bouleverser l'équilibre du monde... Un récit-fleuve, intensément feuilletonnant, à lire d'urgence !
présentation de l'éditeur
Présentation / Festival Bd d'Angoulême 2021
Un truand nantais piste un robot mis au rebut, sur fond de géopolitique et d’étranges phénomènes en Algérie… “Le Dernier Atlas” est le premier tome haletant d’une trilogie signée à cinq – dont le scénariste Fabien Vehlmann et le dessinateur Hervé Tanquerelle.
C’est un pavé – le premier d’une trilogie – qui se lit à vitesse accélérée, un thriller qui flirte avec le paranormal, une uchronie géopolitique. Dans Le Dernier Atlas (éd. Dupuis), Ismaël, truand mystérieux, mène son sale business dans la région de Nantes. Le voilà soudainement obligé de trouver de l’uranium. Ce qui le mène sur la piste d’un géant mécanique, le dernier Atlas, fabuleux robot abandonné par l’Etat français. Pendant ce temps en Algérie, d’étranges phénomènes ont lieu : des oiseaux se rassemblent sans raison dans le désert, puis une curieuse forme émerge du sol.
Avec un art consommé de la narration, Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval tissent une intrigue charnue, inattendue, pleine d’angles morts intrigants. Tandis qu’Hervé Tanquerelle, Fred Blanchard et Laurence Croix lui donnent un style graphique nerveux et clair. Rencontre avec le scénariste Fabien Vehlmann (Seuls, Paco les Mains rouges…) et le dessinateur Hervé Tanquerelle (Les Voleurs de Carthage, Groenland Vertigo…).
Qui est ce fameux dernier Atlas ?
Fabien Vehlmann : Un robot anthropoïde géant de 40 mètres de hauteur, imaginé à la fin des années 1930, qui fonctionne au nucléaire. Il aurait aidé à reconstruire la France d’après 1945, mais aussi à mener la guerre en Algérie. C’est le symbole de la France triomphante sous de Gaulle. Un engin de construction et de répression à la fois. Ses différents exemplaires ont porté le nom d’auteurs connus : il y a le George Sand (celui qui nous occupe), l’Arthur Rimbaud, le Victor Hugo… Ces robots ont été démantelés à la suite d’un incident nucléaire en Algérie. Le George Sand gît dans une décharge en Inde, où il est en train de rouiller – je me suis inspiré du sort qu’a failli subir le porte-avions Clemenceau…
Comment a-t-il été conçu graphiquement ?
Hervé Tanquerelle : Il a été designé par Fred Blanchard, qui a poussé le sens du détail jusqu’à dessiner chacune de ses pièces, même celles qui ne sont finalement pas utilisées dans nos pages. Pas question de nous inspirer de Goldorak et de son fulguropoing : il s’agissait de créer un robot occupé par un équipage, actionné par des hommes.
D’où est venue l’idée de l’Atlas ?
F.V. : D’une image séminale vue en 2003. Pour stimuler mon imagination, je fais régulièrement des collages surréalistes. Je découpe alors dans Télérama la photo de l’arrière d’un bateau. J’y ajoute le titre « Les Géants du ciel », et l’interprète comme la tête d’un énorme robot, squattée par des familles. Cela mène à un projet de BD avec le dessinateur Juanjo Guarnido [coauteur de la série Blacksad, ndlr], qui tombe à l’eau. Sur le même thème, je travaille ensuite avec mon complice Gwen de Bonneval à une série feuilletonnante en turbomédia [BD numérique] pour le magazine numérique Professeur Cyclope, que dessine Hervé Tanquerelle. Mais on ne parvenait pas à tenir le rythme de vingt pages par mois. On a dû douloureusement laisser tomber… C’était d’autant plus difficile que le sujet du Dernier Atlas me tenait à cœur : mon père, fils d’immigrés originaires de pays baltes, a été militaire, pilote en Algérie. J’avais envie de fouiller ce trauma national qu’est la guerre d’Algérie ; elle hante encore les esprits français, comme une querelle familiale non soldée.
Comment l’histoire a-t-elle été relancée ?
F.V. : Deux ans après la fin, en 2015, de l’aventure Cyclope, Gwen de Bonneval m’a suggéré de la réactiver. Tout est venu avec facilité et fluidité…
H.T. : De mon côté, après Groenland Vertigo, je cherchais un nouveau projet. J’ai contacté le designer Fred Blanchard, et nous avons embarqué dans l’aventure.
Pourquoi ancrer une partie de cette uchronie dans l’ouest de la France ?
F.V. : Les Atlas sont construits à Saint-Nazaire, et on navigue pour ce premier tome dans le milieu du banditisme nantais… Les quatre auteurs de départ [auxquels s’est ajoutée la coloriste Laurence Croix, ndlr] vivent à Nantes. C’était amusant de parler de notre région. Et puis c’est un facteur de crédibilité et d’incarnation important dans un récit de genre, cela permet de ne pas tomber dans la caricature. Tout l’enjeu de cette histoire est de faire oublier à quel point ce robot est grotesque ! Avec Gwen de Bonneval, mon coscénariste, nous avons fourni un gros travail de recherche afin de justifier un maximum d’éléments. Nous ne voulions pas d’une intrigue bancale, qui flottille. Notre but était d’être divertissants et exigeants, d’offrir une BD populaire de qualité. Nous avons ainsi toqué à la porte d’associations d’anciens sous-mariniers, discuté avec des ingénieurs nucléaires, des architectes…
H.T. : La crédibilité passe aussi par le dessin : j’ai travaillé à partir de planches très précises, qui auraient pu être des plans d’urbanistes ou d’ingénieurs. On a même fait modéliser l’Atlas en trois dimensions – j’ai utilisé des captures d’écran, décalquées et reprises à la table lumineuse. Mon trait a été ici très tenu, réaliste, bien plus que dans mes précédents albums. J’ai eu un déclic en plongeant dans l’œuvre du Japonais Naoki Urasawa (Pluto, 20th Century Boys…) qui, avec un style très fin, incarne très bien ses personnages.
Avec le George Sand, Ismaël Tayeb, un bandit aux motivations troubles, est l’autre héros de la série…
F.V. : J’ai habituellement une tendance verbeuse dans l’écriture : j’imagine beaucoup de protagonistes et de ramifications. Ici, je me suis forcé à une certaine économie, à « rentabiliser » certains personnages dans ce récit au long cours. Ismaël sert de guide au lecteur, c’est une forme de politesse envers lui. Il s’agit d’un antihéros qui tord le cliché du pilote héroïque, un peu chiant… En référence à la série télé Les Soprano, on s’intéresse à des salopards, plus particulièrement à ce caïd maghrébin que l’on rend touchant et complexe. Il fait à la fois des trucs héroïques et des choses dégueulasses. Né en France de parents algériens, il n’a jamais mis les pieds en Algérie.
Comment avez-vous pensé la forme de cette future trilogie ?
F.V. : Comme un feuilleton, en cherchant à donner un côté haletant à la narration, et envie au lecteur de lire la suite. Nous avons conçu des chapitres de vingt pages, réalisés chaque mois par Hervé, avec des rebondissements réguliers.
H.T. : J’ai travaillé traditionnellement, à la plume et à l’encre de Chine, en reprenant ensuite les planches à l’ordinateur. Je reçois le scénario au fur et à mesure, je ne connais pas l’avenir de nos héros. L’excitation monte au fil des épisodes, je ressens grâce au Dernier Atlas des émotions très adolescentes !
Laurence Le Saux (Télérama)
Roman graphique entre banlieue parisienne et désert algérien, le scénario (uchronie) prend appui sur des éléments partiellement factuels, les essais nucléaires qui sur menés en Algérie dans les années 1950-60 par les militaires français. Imaginons que les ingénieurs français auraient développé une dizaine de robots géants (les Atlas) mus par l'énergie nucléaire capables de bâtir des immeubles. Les décennies passant, les machines sont remisées dans des usines de récupération de matériaux, tels de vieux cargos.
Revenons au présent, c'est à dire les années 2020... Une mystérieuse force tellurique se manifeste dans la zone qui fut autrefois le théâtre des fameux essais. Quoi d'autre qu'un Atlas remit en état pour affronter cette menace !
Les auteurs mêlent savamment la pègre de la banlieue d'une ville de province (incarnée par l'attachant Ismaël Taïeb, le fil conducteur de cette étrange aventure) à cette énigme.
Les Atlas font à l'évidence référencent au robot sur lequel s'achève lelong-métrage dessiné 'Le roi et l'oiseau' de Paul Grimaud et Jacques Prévert.
Lu en mars 2021, collection personnelle (Marianne, offert par Jérôme, Noël 2020)