Films, Musiques & Livres

Le temps des égarésLe temps des égarés

Drame  (90', France, 2018)

Réalisatrice : Virginie Sauveur

Productrice : Caroline Adrian

Photographie : David Chambille

Montage : Diane Logan

Musique : Nathaniel Méchaly

Scénario : Virginie Sauveur, Gaëlle Bellan

Société de production : Delante cinema, Arte

 Avec : Claudia Tagbo (Sira Diabate), Hadja Traore (Assa), Amer Alwan (Abdul Yassin), Biyouna (Rada), Azoul Dembele (Modibo), Géraldine Martineau (Audrey), Jean-Pierre Lorit (Jean-Paul Miller)

 

Synopsis  

Sira travaille pour l'organisme en charge du droit d'asile en France. Bien qu'issue elle-même de l'immigration, c'est sans scrupules et à prix d'or qu'elle vend aux migrants des odyssées mensongères. Alors qu'une série de rencontres aura raison de son cynisme, Abdul, un Irakien qui a fui Daech, débarque en France...

 

Le temps des égarés

Dans la presse et au fil des blogs...

 Par Stéphanie Guerrin Le Parisien)

Le 24 mai 2018 à 18h57, modifié le 24 mai 2018 à 18h59

Dix ans de gestation pour un film en plein dans l'actualité. « Le Temps des égarés », diffusé sur Arte ce vendredi soir à 20 h 55, aborde la question de l'accueil des migrants en France avec une force et une subtilité remarquables. Imaginée au départ comme une série il y a des années par la scénariste Gaëlle Bellan (« Engrenages », « Le Bureau des légendes »), cette fiction réalisée par Virginie Sauveur (« Virage nord », « Engrenages ») a pour héroïne Sira, incarnée par Claudia Tagbo.Interprète à l'OFPRA, l'organisme qui attribue le droit d'asile en France, cette femme cynique n'a aucun scrupule à vendre chèrement aux migrants des récits inventés pour faire pencher la balance en leur faveur. Autour d'elle, les destins d'une fillette malienne, d'un professeur irakien et d'une jeune avocate vont se croiser.

Extrêmement documenté, le scénario de Gaëlle Bellan a été primé en février au Festival de Luchon. « Le Temps des égarés » y a également reçu les prix de la meilleure fiction et de la musique ainsi que le prix du public au Fipa, festival de la création audiovisuelle internationale en janvier à Biarritz.
«On a été refoulés de pas mal d'endroits à cause du sujet»

 

La puissance de l'écriture est sublimée par une mise en scène inspirée et des comédiens tous plus intenses et touchants les uns que les autres. L'humoriste Claudia Tagbo d'abord, dans un rôle à contre-emploi, mais également la petite Hadja Traore, 10 ans. « C'est son premier film et j'espère qu'elle en fera d'autres », souligne Virginie sauveur, impressionnée.L'acteur Amer Alwan, en réfugié irakien, est tout aussi épatant. « On cherchait un Irakien qui parlait français et c'est le destin qui nous a l'amené, assure la réalisatrice. J'étais dans un café et je l'ai entendu parler au téléphone. Je lui ai demandé s'il était comédien, il m'a dit Je suis réalisateur-comédien et quand je lui ai demandé son origine il m'a répondu Irakien. J'ai eu un frisson. J'ai pris son numéro et c'est parti comme ça. »Si les hasards de la vie rendent l'histoire encore plus belle, il y a eu aussi quelques difficultés. « On a été refoulés de pas mal d'endroits à cause du sujet, regrette Virginie Sauveur. Il y a certains arrondissements de Paris ou des cités qui n'ont pas voulu de nous. Mais j'aime aussi trouver des solutions, donc on a fait autrement. »Au final, « le Temps des égarés » s'impose comme un conte plein d'humanité, ancré dans la réalité, sans tomber dans le pathos ou le misérabilisme. Une œuvre importante.

 


L’OFPRA est l’Office Français pour la protection des réfugiés et apatrides. Sur son site internet, l’Office indique qu’il est chargé de l’application des textes régissant le droit d’asile. Le slogan accompagnant son logo est « à l’écoute du monde ». C’est toute la difficulté de ses agents : se mettre à l’écoute de personnes qui souvent ne partagent pas notre culture et ne parlent pas notre langue ; et appliquer avec rigueur des textes qui aboutissent au rejet d’une grande partie des demandes. 

Justement, une fonctionnaire de l’OFPRA reçoit Abdul Yassim (Amer Alwan), un homme qui a fui l’Irak où sa famille qui, dit-il, a été assassinée par Daech. Elle ne croit pas en son histoire, se dit lasse de s’entendre raconter des boniments.

Le temps des égarés

Sira Diabate (Claudia Tagbo) est interprète multilingues à l’OFPRA. Mais surtout, l’office lui offre l’opportunité d’un business lucratif : elle fabrique, moyennant finances, de belles histoires aux candidats au droit d’asile. Elle a même réussi à transformer un milicien turc d’extrême droite en Kurde victime du régime d’Ankara.

Sira a elle-même fui sa famille et son pays lorsque, petite fille, une sorcière était sur le point de l’exciser. Elle a décidé de ne se jamais laisser émouvoir. Lorsqu’arrive sur le pas de sa porte Assa (Hadja Traore), une pétillante petite fille d’une douzaine d’années dont le père est en cours d’expulsion, Sira n’a qu’une idée : se débarrasser de l’intruse. Mais celle-ci, dans sa rage de vivre, lui rappelle trop sa propre histoire.

Dernier personnage clé : la jeune avocate Louise Elaouidi (Alice Belaïdi), spécialiste de droit pénal mais qu’une suite de rencontres convertira à la défense des migrants.

Le temps des égarés

Le film de Virginie Sauveur mène le spectateur de rebondissement en rebondissement. Les acteurs sont remarquables, à commencer par Claudia Tagbo et la petite Hadja Traore. Des scènes sont empreintes de poésie, comme l’évocation de la fuite et de l’exil de Sira, ombres chinoises à l’appui.

Ce qui ressort le plus, c’est l’embarras de la société française face à l’immigration. Les fonctionnaires de l’OFPRA doivent prendre des décisions qui touchent de plein fouet la vie d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont tout perdu, croire ou ne pas croire leurs récits, utiliser au mieux leur marge restreinte d’interprétation des règlements. Un Français accueille à bras ouverts Abdul, qui un jour lui a sauvé la vie en Irak ; mais son hospitalité s’arrête lorsqu’il faut libérer la chambre pour un membre de sa famille. Abdul sera meurtri par ce lâchage et par son combat contre l’administration du pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. La dernière image du film le montre regardant avec envie les ferrys qui quittent Calais pour l’Angleterre.

 


Lauréat du Pyrénées d’Or de la Meilleure Fiction Unitaire, Le Temps des Égarés arrive enfin sur Arte. Écrit par Gaëlle Belland (Engrenages), co-écrit et réalisé par Virginie Sauveur (Kaboul Kitchen), le film se penche sur le fonctionnement interne de l’OFPRA (l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) en mettant en lumière ceux qui, jour après jour, dossier après dossier, font et défont les destins des migrants arrivés en France pour y demander asile. Un film en plein dans la Zeitgeist donc, à l’heure où l’Europe a toujours du mal à gérer l’une des plus grandes crises de migration de l’Histoire, et qui plutôt que de tracer son intrigue à grands traits, prend le parti de plonger directement dans l’intimité du système, en explorant le cynisme des uns, l’espoir des autres et la procédure bureaucratique de longue haleine et parfois déshumanisante qui les réconcilie.

L’arrivée en France n’est que la première étape du voyage. Après avoir tout laissé derrière eux, biens, amis, famille, carrière, espoirs, les réfugiés se doivent de faire une demande d’asile en bonne et due forme, et se confronter au plus grand dragon qui soit : l’administration française. C’est là qu’intervient Sira (Claudia Tagbo). Elle-même ancienne réfugiée, polyglotte et désormais traductrice, pour L’OFPRA, elle sert d’intermédiaire entre les demandeurs et les employés. Et puisqu’il est si compliqué d’obtenir un statut de réfugié en France, Sira a lancé son propre business : pour une somme d’argent conséquente, elle aide les nouveaux venus à polir leurs dossiers, à mentir s’il le faut, bref, à rendre leur histoire crédible, et suffisamment valable aux yeux de la loi pour que la République leur accorde leurs papiers. Mais sous ses apparences d’Olivia Pope à la française, Sira à une règle à laquelle elle ne faillit jamais : pas d’argent, pas de dossier. Elle n’aide personne gratuitement, enfermée dans un cynisme glaçant et dans une colère qui semble, du moins au début du film, complètement injustifiée. Et puis un jour, le destin frappe à sa porte, sous la forme d’un homme malien et de sa fille, qu’il a enlevée pour lui éviter l’excision, une situation que Sira va, en dépit d’elle-même prendre à cœur. Autour de Claudia Tagbo, magnifique de justesse et de courage dans son interprétation d’une protagoniste à priori pas si facile à rendre sympathique, virevolte une galerie d’acteurs peu connus, mais complètement habités, parmi lesquels on prendra le temps de nommer Amer Alwan, extraordinaire dans la peau d’un réfugié Irakien, et Alice Belaïdi, l’avocate “schizophrène” comme elle dit, à cheval entre deux cultures. Une mise en scène de la France dont on entend très peu parler, filmée avec beaucoup de pudeur par la caméra de Virginie Sauveur.

L’un des atouts majeurs de ce film, c’est son scénario, qui manie habilement les contrastes, que ce soit dans le portrait des personnages, leurs points de vue, leurs idéologies ou leurs situations, qui tournent parfois à l’absurde, comme cet homme arrivé d’Irak qui se voit refuser l’asile parce que personne n’arrive à croire qu’il ait réussi à passer la frontière turque sans payer le passeur. Il est aussi dans le privilège apparent des natifs de France, qui fument à la fenêtre en se demandant pourquoi ils viennent chez nous, ces gens qui arrivent d’ailleurs et ne semblent pas comprendre la portée des traumatismes des voyageurs, trop ancrés dans leur quotidien confortable pour imaginer ce que vit autrui. C’est un très beau script qu’ont co-écrit Gaëlle Belland et Virginie Sauveur, tout en nuances, en finesse, sans jugement aucun en dépit de ses opinions, qui oscille constamment entre l’espoir et l’affliction, offrant à ses acteurs de grands moments, parfaitement dévastateurs tant ils sont anodins. Un film porté par tout ce qu’il y a de plus remarquable et de détestable dans la nature humaine et qui se positionne solidement dans le camp de la solidarité, sans pourtant condamner ceux trop faibles, trop égoïstes, ou trop blessés pour faire de même.

Par Marine Sialelli (https://leschroniquesdecliffhanger.com/)

 

 

Film à la lisière du documentaire qui suit le parcours de réfugiés arrivant en France, confrontés à la lâcheté de notre république incarnée par une administration sèche, blasée voire indifférente... Des portraits sensibles, subtils, sont esquissés au fil du récit qui ne tombe jamais dans le pathos, préservant la dignité de ces êtres bousculés par la guerre, les traditions archaïques en leur accordant la parole, qui face à un juge, qui face à une avocate, peu à peu, quelques courageux magistrats tentent de 'rattraper' des décisions iniques. L'OFPRA ne sort pas grandi de ce témoignage. Ouvrons les yeux !

Vu en novembre 2020 (Arte)