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Oncle Vania
Oncle Vania

Pièce d'Anton Tchekhov (texte traduit du russe par Virginie Ferrere et Galin Stoev), 1897.

Mise en scène : Galin Stoev
Collaboration artistique et assistance à la mise en scène : Virginie Ferrere
Scénographie : Alban Ho Van
Lumières : Elsa Revol
Régie générale : Léo Thévenon
Régie plateau : Simon Clément
Régie lumière : Didier Barreau
Régie son : Loïc Célestin
Electricien : Thomas Maréchal
Habillage : Sabine Rovère
Production : Théâtre de la Cité - CDN Toulouse Occitanie
Coproduction : Comédie - CDN de Reims
Remerciements : Caroline Chaniolleau, Andrzej Seweryn, Elise Friha et Jean Charmillot

Avec... Catherine Ferran, sociétaire honoraire de la Comédie française (Marina, la nounou), Sébastien Eveno, comédien permanent associé au projet de direction de la Comédie - CDN de Reims (Ivan Voïnitski, alias oncle Vania), Cyril Gueï (le médecin Astrov), Suliane Brahim, sociétaire de la Comédie française (Eléna Andréevna), Marie Razafindrakoto (Sophia Alexandrovna, alias Sonia, fille du premier lit de Sérébriakov), Côme Paillard (Ilia Ilitch Téléguine, alias Gaufrette) Catherine Salviat, sociétaire honoraire de la Comédie française (Maria Vassilievna Voïnnitzki, venve, mère de la première femme du professeur et de Vania) et Galin Stoev (le professeur Sérébriakov)

 

Synopsis

Dans le domaine d’Oncle Vania, ce qui reste d’une famille éclatée se rassemble pour tenter de vivre ensemble et réinventer un futur commun. Chacun avec ses espoirs et ses frustrations, pour faire face à des questionnements aussi banals que métaphysiques : comment nos rêves d’autrefois deviennent nos propres accusateurs farouches ? Comment les sentiments poétiques et tendres qui nous animent se métamorphosent en démons animés par la jalousie et la haine ? Où se trouve ce mystérieux point de bascule qui transforme la paix en guerre ?

Avec son sourire mélancolique, Tchekhov dépeint les traits d’âmes humaines dépourvues d’amour. Des personnages à la fois touchants et cruels, drôles et surprenants.

  

Dans la presse et au fil des blogs...

Oncle Vania dans la mise en scène de Galin Stoev : une déchirante variation sur le vide de l’existence

 
Oncle Vania © Marie Liebig

On revient toujours à Tchekhov. Même si c’est la première fois pour Galin Stoev en France, monter Tchekhov c’est reprendre une histoire, y ajouter une variation, y apporter une nuance pour explorer toujours un peu plus subtilement les méandres de la vie qui passe. Et Oncle Vania, chant du piétinement et de la résignation, en est l’incandescent canevas. Sans cesse recommencée, la tentative de tisser la vie autour du vide donne lieu à des jeux d’équilibriste sur le fil entre le sens et son absence.

La version de Galin Stoev s’installe d’emblée dans la précarité d’un bric-à-brac sans référence spatio-temporelle précise, si ce n’est le recyclage de décors précédents, par souci écologique sans doute mais aussi parce que Tchekhov contient toutes les pièces et que tous les vestiges y ont leur place. L’espace se présente comme un entre-deux : entre une pièce fermée par un panneau vitré en accordéon et un couloir menant on ne sait où, entre le monde slave et l’Amérique des comédies musicales, entre passé  couleur sépia et science-fiction post-apocalyptique,  entre la vie et son drame.  Un triangle indéfini de sol en béton, quelques pneus égarés, un samovar de cantine en métal et des chaises pliantes composent une aire de jeu sans perspective comme sans espoir.

Tout commence pourtant comme un jeu collectif : sept beaux comédiens répètent la première scène sous l’œil vigilant d’une vieille nounou, passeuse de relais. Le propos est ainsi immédiatement déréalisé et prend le parti de la poésie loufoque et désenchantée. La deuxième entrée des visiteurs, celle qui marque le début du drame, y a des airs de comédie musicale : un professeur Travolta y esquisse avec sa troupe un pas de danse désuet. Il est élégant, il donne le la et toute la famille suit son rythme fantaisiste. Cette légèreté qui enchante d’abord exaspère très vite : quand les projecteurs diminuent d’intensité, le vieux Serebriakov (élégamment interprété par Andrzej Seweryn), renvoyé à son corps souffrant, geint, exige et dilapide égoïstement ce que d’autres ont patiemment accumulé. Ses jérémiades de vieux coq sont comiquement associées aux gloussements de quelques poules que le metteur en scène a invitées sur le plateau. Clin d’œil au naturalisme historique de Stanislavski qui, dit-on, demandait à ses acteurs de chercher des grenouilles pour en peupler son plateau et accentuer par le coassement l’illusion de la vraie vie ? Référence à un survivalisme plus contemporain qui compte sur le poulailler pour se nourrir et cohabite avec l’animal domestique ?

On assiste en fait plus à une fin de partie beckettienne qu’à un bal slave. Retravaillé pour le plateau, à la recherche d’une langue directe et quotidienne, le dialogue simplifie, pour nos repères occidentaux, les adresses nominatives et confère aux personnages une humanité universelle. Cette réécriture contribue à débarrasser Tchekhov de ses attaches folkloriques. Sur cette dalle, on peut dire « con » ou « truc ». Chacun peut crier qu’Elena est « canon », belle à faire mourir, même si le pire est sans doute que personne ne meurt dans Oncle Vania. De meurtre raté en impossible suicide, la pièce étire une douce agonie : on ne peut qu’y vivre, ou plutôt y survivre. La mort est à la porte, elle est directement liée au temps qui passe et qui fanera la beauté de Sonia, « dans cinq ou six ans ». Elle enterre vivants les habitants de cette campagne devenue voie de garage, hangar à naufrages et à laquelle la pièce n’offre qu’une très brève et insupportable parenthèse d’agitations latentes.

 

 
Oncle Vania © Marie Liebig

Cette langue parlée instaure aussi un contact immédiat avec le public, directement interpellé à plusieurs reprises puisque les personnages, résignés à la vanité du présent, s’interrogent sur les traces qu’ils laisseront pour les générations futures. Sans transformer la pièce, Galin Stoev en exprime l’étonnante résonance avec les questions qui agitent notre monde. Visionnaire écologiste, le docteur Astrov (lumineux Cyril Gueï), revêtu d’une combinaison blanche futuriste pour astrov-physicien ou frères Bogdanov avant la chirurgie, peinturlure les rouleaux de papier recyclé de ses visions sylvestres. C’est un toubib perché, comme l’était le baron, éclairé trop tôt sur l’état de notre monde. Il est le nœud de tous les paradoxes paralysant la possibilité même d’une action. Son propos retentit sur ce plateau froid comme les mots inaudibles d’un lanceur d’alerte, on l’aime mais on ne le prend pas au sérieux. L’homme de science amoureux voit loin mais reste aveugle à celle qui soupire à son côté. Son baiser volé à Elena précipite la catastrophe intime, à moins qu’il ne permette le retour au vide, aux occupations immuables et à la répétition qui rassure. Son message écologique aura finalement fait moins de bruit que son attirance pour Elena et sa disparition, qui restaure la stabilité microcosmique, renvoie les survivants à leur lente attente, au décompte des jours qu’il reste à remplir et à l’horloge qui rythme la monotonie du quotidien.

Le discours final de Sonia, adressé au public et au monde, avec une douceur désarmante, nous rappelle l’indépassable désenchantement de cette existence, la leur, la nôtre, au passé, au présent et au futur. Cette fin de Vania, plus déchirante encore que celle de la Cerisaie, dit l’immobilité du temps, la vanité de nos agitations et l’espoir impossible en ce monde que le bonheur arrive. Sans grandiloquence, cette proposition poétique portée par des acteurs remarquables de précision, de légèreté et d’humilité, enchante et désenchante en même temps. On en sort émue, plus que jamais convaincue de la nécessité de Tchekhov parmi nous.

Delphine Urban, diacritik.com


 Dis Tonton, pourquoi tu pousses ?
Tonton Vania, tu pousses vraiment à t’entêter à vouloir tuer le professeur Sérébriakov…
Et à échouer dans ton entreprise assassine…

Avec cette nouvelle version à l’Odéon du chef-d’œuvre du grand Anton, Galin Stoev nous propose un spectacle inégal de deux heures et demie, avec des moments très réussis, et d’autres beaucoup moins.

L’échec…
Thème fort de la pièce, dans laquelle tous les personnages sont confrontés à leur propre échec, dans une illusoire tentative d’un vivre ensemble qui n’est pas pour eux…
Des vies ratées, un dérisoire bilan humain, dans une implacable succession de scènes.

On ne peut pas reprocher au metteur en scène son manque de franchise, puisque il déclare situer l’action dans un futur proche dystopique, « pour éviter la dualité qui consiste à choisir entre des costumes d’époque et une mise en scène contemporaine. »

Nous retrouvons donc cette famille que nous connaissons bien, dans une espèce de salle d’attente, assis en rang d'oignon face à nous, où un étrange bâton de parole leur est distribué pour les premières tirades. Je vous avoue que les parti-pris m’ont un peu échappé…

La dernière famille après une catastrophe écologique ?
L’écologie, autre thème fort de la pièce, notamment avec la scène des cartes, qui deviendra ici, une scène de coloriage à la peinture acrylique, ayant pour effet notoire de peindre en vert les fesses de la combinaison blanche de Cyril Gueï, toujours irréprochable, ce qui déclenche l’hilarité de la salle.

Ecologie encore : les comédiennes et comédiens évolueront dans un décor fait d’éléments recyclés, notamment à partir du précédent spectacle de Galin Stoev, IvanOff de Frédérik Brattberg.
Ce qui fait que nous retrouverons les deux pans coupés, avec deux grandes ouvertures sur le lointain.
Tout comme dans son Tartuffe, à la Comédie Française.

Vous avez dit Comédie Française ?
Oui, une prestigieuse distribution vous attend à l’Odéon.
Si Suliane Brahim transformée en une sorte de Clara Luciani en doudoune, bottes cuissardes et bermuda blancs est parfois émouvante mais souvent très glaciale dans le rôle d’Elena, les deux Sociétaires honoraires que sont Catherine Ferran et Andrzej Seweryn sont encore et toujours aussi magnifiques.

En grande blouse blanche, Mademoiselle Ferran incarne une épatante nounou bougonne. Elle tricotera beaucoup, tout au long de la pièce, assise sur sa petite chaise.
Quant à son ex-camarade du Français, il incarne avec une délicieuse faconde ce vaniteux et pontifiant professeur...

Je n’ai pas trop compris l’usage d’un micro hf dont il s’empare dans la scène de la vente du domaine, où les membres de la famille sont assis tournant le dos aux spectateurs.
Tout comme d'ailleurs l’usage d’un micro sur pied à l’extrême cour dont s’empareront parfois les comédiens.

C’est Marie Razafindrakoto qui va nous bouleverser, à la toute fin de la pièce, dans le rôle de la nièce Sonia.
C’est elle qui va faire en sorte de plonger la salle dans un silence assourdissant, nous autres spectateurs buvant ses paroles.

Hélas pour elle, c’était sans compter trois gallinacées facétieuses qui ont semblé hier avoir pour idée principale de saboter sa scène.
L’une de ces poules, perchée sur un samovar, caquète, cratèle et glousse à qui mieux-mieux.
Les deux autres ayant sans doute pour ambition de ne pas réserver les combats aux seuls coqs, ont entamé une espèce d’intense bagarre..
Forcément, nous rions…

Quant aux spectateurs amateurs de piano numériques qui jouent tout seuls, aux petites machines électroniques qui font des étincelles, ceux là seront aux anges.

Notons également que Galin Stoev a lui même entrepris de traduire le texte, en compagnie de Virginie Ferrere, dans le souci de rendre très actuel et très francophone le texte de Tchekhov.
Là encore, chacun jugera.

Il faut aller voir Catherine Ferran et Andrzej Seweryn !

Yves Poey, blog delacouraujardin
(note : dans la représentation donnée jeudi 1er février 2024 sur le scène nationale de Toulouse, le professeur était distribué à Galin Stoev -et non Anrzej Seweryn)


 

Pièce animée par des comédiens excellents, dans un décor un peu déconcertant. Le texte est donné dans une traduction moderne du russe qui donne du rythme : les 2h20 passent sans une once d'ennui. La confrontation entre les personnages : l'intellectuel, professeur qui suscitait naguère l'admiration apparait bouffi d'orgueil et de mépris face à cette partie de la famille qui a patiemment, avec humilité entretenu le domaine agricole. La mise en avant de la nature, défaite et exposée aux outrages de l'action de l'homme, est une réelle préoccupation de l'auteur qui exprime celle-ci dans la parole d'Oncle Vania, de Sonia et du docteur Astrov. La condition humaine est questionnée et préfigure l'existentialisme.
Vue en février 2024 (Théâtre de la Cité, Toulouse, Agathe et Marianne)